Dublin: Les Morts (The Dead) par James Joyce

J’ai vu et entendu la nouvelle “Les Morts” avant de la lire. C’était à Chicago, sous la neige, un soir de décembre. Je marchai de mon appartement jusqu’au théâtre universitaire où se jouait la pièce. Je crois que c’est une des premières pièces que j’ai vue en anglais et je ne connaissais alors Joyce que de nom.

Je retournai à la maison, seul, la neige tombant sans bruit sur mon chemin. J’étais au milieu d’une des périodes les plus intenses et les plus cruciales de mon itinéraire professionnel, mais la pièce avait fait plus que m’offrir une parenthèse bienvenue. Elle m’avait ouvert des horizons neufs.

Depuis, j’ai lu la nouvelle, en anglais, comme en français, et j’ai eu l’occasion de visiter Dublin. Pas de neige pour ma dernière visite, une conférence à Trinity College au mois de juillet. La conférence proposait certains des étapes touristiques obligées, comme une visite de la brasserie Guinness. Mon hôtel était aussi proche de Stephen’s Green où j’allais me promener en début de soirée. Je suivis aussi un itinéraire qui retrace « les Pâques Sanglantes de 1916 », l’insurrection des Républicains irlandais contre la Couronne britannique, un épisode de l’histoire européenne dont j’ignorais l’essentiel. Dans le Dublin d’aujourd’hui, presque cent ans plus tard, il faut un œil informé pour découvrir les traces de ces événements, qui pourtant ont marqué l’imaginaire irlandais.

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Trinity College

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Stephen’s Green

Le Dublin raconté par Joyce dans « Gens de Dublin » est presque contemporain de la révolte républicaine. Pourtant, la question irlandaise et les tensions entre catholiques et protestants n’ont pas l’air d’y jouer un rôle important. Certes, parmi les convives du repas de fin d’année, on trouve une activiste de la cause républicaine, Miss Ivors, qui reproche à Gabriel Conroy d’écrire une chronique littéraire pour un journal pro-anglais. Et un autre convive, Mr. Browne, est gentiment taquiné pour son protestantisme.

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La nouvelle raconte ce repas traditionnel. Les invités se connaissent, la plupart viennent chaque année. La soirée se déroule selon un rituel que chacun anticipe, même s’il n’est pas codé ou guindé. C’est une de ces fêtes de la saison de Noël pleine de bonhomie que nous connaissons tous. Le même menu – une oie ou une dinde – chaque année, le même oncle qui a vite trop bu, les mêmes moqueries lancées sans trop de méchanceté, mais qui peuvent pourtant blesser. Et comme prévu, Gabriel coupera l’oie et à la fin du dîner, il se lèvera, portera un toast et prononcera un bref discours, bien tourné, bien enlevé.

Sortis de table, une des tantes s’installera au piano et on se mettra à chanter. Le dernier chant, alors que les invités prennent leur congé, sera « The Lass of Aughrim », un chant traditionnel irlandais.

Mais sur  le chemin de retour, Gabriel ne reconnait plus sa femme, Gretta. Elle semble absente, loin de cette soirée de fête, loin de Dublin. La dernière chanson lui a remis en mémoire un jeune homme qui l’a aimée il y a longtemps à Galway et qui, depuis, est mort, pour elle, pense-t-elle. Il a fallu une chanson  et un trajet sous la neige pour que Gabriel se rende compte qu’il ignorait presque tout de sa femme.

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