Santa Cruz, Bolivie: Materia del Deseo (The Matter of Desire) par Edmundo Paz Soldán

 

Depuis que j’ai commencé ce blog, avant chaque départ, je cherche des idées de livres qui pourraient m’accompagner dans ma destination. Ce faisant, j’ai découvert un type de romans qui à travers les expériences et les styles divers des auteurs présentent un canevas similaire : un narrateur immigré, souvent aux USA ou en Angleterre, un récit à cheval sur le pays d’origine et le pays d’accueil, la figure du père qui joue un rôle central. Peut-être parce que je suis moi-même expatrié, ce sont des récits qui m’ont plu. Je vais présenter quelques-uns de ces romans dans mes prochains articles.

Je commence avec « Materia del Deseo » par Edmundo Paz Soldán, traduit en anglais (The Matter of Desire) mais malheureusement pas encore en français. Le récit se passe en partie dans une université située dans le nord rural de l’Etat de New-York qui ressemble fort à Cornell où enseigne Paz Soldán et pour l’autre part à Rio Fugitivo, une ville fictive de Bolivie. Une ville loin des clichés que l’on peut avoir sur ce pays andin enclavé : pas de lamas ou d’alpagas, loin du Lac Titicaca ou du Salar d’Uyuni.

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Rio Fugitivo ressemble un peu à la ville de Santa Cruz de la Sierra où je me suis rendu récemment. Même si elle garde des traces de son passé colonial autour de la place centrale, Santa Cruz est une ville moderne, en plein boom économique, au cœur d’une plaine dominée par de larges exploitations agricoles. Certaines rues du quartier « Equipetrol » se veulent plus branchées que les rues de Miami.

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Santa Cruz de la Sierra

Pedro, un jeune professeur en sciences politiques spécialisé dans l’Amérique Latine, a pris un semestre sabbatique de son université nord-américaine. Ce voyage tombe bien car il lui permet de fuir une relation amoureuse devenue ingérable avec Ashley une de ses étudiantes américaines. Plus officiellement, il retourne aussi à Rio Fugitivo pour effectuer des recherches sur son père, Pedro Reissig, une figure de la lutte politique révolutionnaire en Bolivie dans les années 60, tué avec son groupuscule lors d’un traquenard tendu par les services de sécurité.

La région autour de Santa Cruz est riche en souvenir d’expériences révolutionnaires qui ont tourné court. La plus connue est sans doute celle du Che Guevara dont la tombe se trouve à Vallegrande. Après avoir soutenu Fidel Castro à Cuba, et une tentative sans succès au Congo, le révolutionnaire argentin terminera sa carrière en Bolivie : il ne parvient à recruter aucun campesino pour sa lutte armée et finira pourchassé et abattu par l’armée bolivienne. Une fin de parcours sans gloire qui pourtant donnera naissance à un mythe qui a inspiré des milliers de jeunes idéalistes.

Un mural sur l'hopital de Vallegrande en Bolivie

A painting dedicated to Ernesto « Che » Guevara on the Vallegrande hospital in Bolivia.

Une expérience plus émouvante est celle des missions jésuites dans la région de Chiquitos. Fondées à la fin du XVIIème siècle pour intégrer la population indigène au système colonial espagnol, elles ont pourtant offert à ces populations un abri contre les raids esclavagistes et autres exactions des propriétaires coloniaux. Bien que les missions n’étaient sans doute pas le paradis suggéré par exemple par le film « Mission », elles ont permis le développement  d’une économie et d’une culture florissante. La tradition musicale Chiquitanos persiste de nos jours. J’ai eu l’occasion d’assister à un concert et de voir les instruments d’époque dans le musée de la Mission de San Javier, un très bel exemple de cette architecture hybride, sur la place d’une petite ville rurale au charme désuet. C’est dans cette région de Bolivie que se trouvent les missions les mieux conservées, témoins d’une expérience un peu utopique brutalement interrompue en 1767 quand la Couronne espagnole expulsa les Jésuites d’Amérique Latine.

Mission de San Javier

Mais revenons à Pedro, notre universitaire bolivien en quête de son père et tentant, sans succès, d’oublier son amour nord-américain. Son père, Pedro Reissig, il ne l’a jamais connu, si ce n’est comme un héros, une figure de proue de la gauche bolivienne, dont, comme le Che, l’assassinat a construit la légende. Pourtant un doute subsiste : parmi le groupe de révolutionnaires, un traître a vendu la mèche qui a permis aux services de sécurité de les piéger. Qui est ce traître ? La solution de l’énigme se trouve-t-elle dans Berkeley, le roman à clef écrit par Reissig ? Ou bien dans les mots-croisés que rédige chaque semaine son oncle David, le frère du héros, qui a survécu par miracle à la tuerie ? Comment débrouiller le triangle (ou rectangle) amoureux dans lequel les deux frères se sont emmêlés avec leurs femmes respectives ? Faut-il croire aux prétendues révélations d’un narcotrafiquant en procédure d’extradition vers les USA, ancien compagnon de classe de son père ?

Après un bref retour de flamme avec Carolina, une ex petite amie bolivienne, Pedro retourne aux Etats-Unis. Ashley a quitté le campus sans laisser d’adresse, mais il revient avec une image plus précise de qui était vraiment son père.

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