Tadjikistan: Hurramabad par Andrei Volos

Mes réunions professionnelles à Douchanbé, la capitale du Tadjikistan sont longues. Comme mes collègues et moi ne parlons ni russe, ni tadjik, nous sommes toujours accompagnés d’une interprète qui traduit du russe en anglais et vice-versa. Ça me donne un peu de temps pour scruter au mur la galerie de portraits des Ministres de la Santé qui se sont succédé depuis le début de la période soviétique : quelques énergiques matrones dans les premières années du communisme, des portraits rigides croulant sous les médailles après la seconde guerre mondiale. Curieusement, l’indépendance du pays en 1991, n’est pas marquée.

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Cette continuité avec la période russe et soviétique se ressent aussi dans les références culturelles. Lorsque je faisais remarquer que, dans certains centres de santé ruraux, le personnel médical semblait parfois assoupi et manquer de motivation, mon interlocutrice me conseilla de lire la nouvelle d’Anton Tchékhov « Ionytch » qui raconte l’histoire d’un médecin arrivé plein d’idéal dans un district de province, mais qui au fil des désillusions amoureuses et professionnelles, s’encroûte et devient un misanthrope cynique.

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De premier abord, la ville de Douchanbé apparaît aussi comme un mélange harmonieux des influences russes et tadjikes. Au pied de montagnes enneigées, on passe en quelques pas des larges avenues bordées de bâtiments officiels qui ont l’élégance et les couleurs pastels de certains palais pétersbourgeois à un marché matinal chamarré et bruyant, remplis des couleurs, des odeurs et des saveurs d’Asie Centrale. En persan, Douchanbé veut dire « lundi », rappelant que l’origine de la ville était un marché qui se tenait le premier jour de la semaine.

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Dans la campagne, le village se met en rang d’oignon et en costume traditionnel tadjik pour accueillir la délégation officielle. Les enfants dansent au rythme des tambourins, les jeunes filles offrent aux visiteurs le pain et le miel de l’hospitalité. Mais après la visite et le plov du déjeuner, c’est à la vodka que se portent les toasts. Lors de randonnées dans la chaîne des Fan, les superbes montagnes qui enserrent les eaux turquoises de l’Iskandar Kul (le lac d’Alexandre), on croise autant de bergers et paysans tadjiks que de groupes de marcheurs russes.

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Le recueil de nouvelles d’Andrei Volos « Hurramabad », traduit du russe en anglais mais malheureusement pas en français, s’inscrit aussi dans cette confluence des héritages russes et tadjiks. Mais la cohabitation n’est pas, ou plutôt n’est plus, harmonieuse. Andrei Volos est un écrivain russophone né à Douchanbé, ville qui à sa naissance s’appelait Stalinabad. Après ses études à Moscou, il revient au Tadjikistan où il traduit de la poésie tadjike. Ses nouvelles, très finement écrites dans la tradition de Tchékov, racontent le déchirement et la nostalgie de la communauté russe au Tadjikistan après l’indépendance et la guerre civile qui suivit dans les années 90.

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La première nouvelle de Volos, « The Ascent », décrit la montée d’un petit-fils et de sa grand-mère vers la tombe du grand-père. L’ascension est rude et à chaque pause, la grand-mère se souvient de son arrivée de Russie dans les années 30 pour retrouver son mari fraîchement posté avec l’armée soviétique sur la frontière avec l’Afghanistan le long du fleuve Amour-Daria. Dans « A Local Man », un jeune scientifique russe est envoyé en mission dans un institut de recherche situé au Tadjikistan. Contrairement à ses collègues russes qui ne rêvent que d’un retour à Moscou, il s’éprend du pays, apprend la langue, épouse une Tadjike et demande à rester en poste. Mais moqué par ses collègues tadjiks, sa demande de mutation est rejetée. Peu importe, il reste à Hurramabad, où il finira, parfaitement heureux sur le marché, par émincer des légumes et enfourner des chaussons salés.

« The House by the River » raconte l’histoire de Yamninov, un russe qui vient de terminer de construire de ses blanches mains la maison de ses rêves au bord de la rivière. Mais la maison attire les convoitises, et en pleine guerre civile, un des nouveaux maîtres du pays, un arrogant seigneur de la guerre, l’emmène chez le notaire et le force à vendre sa propriété à très vil prix. Yamninov utilise l’argent pour acheter un fusil-mitrailleur et attendre l’usurpateur de pied ferme, quitte à périr en défendant sa maison…

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