Idées Bouquins, etc… : Colombie

Je reviens d’un superbe voyage en famille et avec des amis en Colombie. Le géant de la littérature colombienne, le père du réalisme magique, c’est bien sûr Gabriel Garcia Márquez. Et « Cent ans de Solitude (Cien años de soledad) » est son œuvre maîtresse. Je l’ai relue – ou plutôt réécoutée en version audio – pendant mon voyage. Je l’ai commencée sur une plage près du parc Tayrona, entre la mer des Caraïbes et la rivière descendant de la Sierra de Santa Marta. J’ai été envoûté par cette immense fresque de l’histoire et de la société colombienne à travers les générations de la famille Buendia et les péripéties du village imaginaire et isolé de Macondo : guerre civile entre conservateurs et libéraux, progrès technologique, influence des compagnies bananières américaines. Emportés par les courants de l’histoire et les catastrophes naturelles, les Buendias veulent se construire tour à tour des destins ou des postures de héros, mais au bout du compte se retrouvent tous seuls, vaincus par leur impossibilité d’aimer.

 

Le jeune auteur colombien Juan Gabriel Vásquez se présente volontiers comme prenant le contre-pied du réalisme magique de la génération qui l’a précédé. Son argument est qu’en Colombie, depuis des décennies, la réalité n’a vraiment rien de magique. Il est né et a grandi pendant les années où Pablo Escobar et les luttes entre les cartels de narcotrafiquants semaient la peur parmi la population de Bogota, Medellin et Cali.  Son excellent roman « Le Bruit des Choses qui Tombent (El ruido de las cosas al caer) » nous fait revivre cette période douloureuse à travers le personnage d’Antonio qui s’est lié d’amitié avec un certain Laverde en jouant avec lui au billard dans un bar. Laverde se fait descendre en pleine rue, dans le quartier de la Candelaria à Bogota, sous les yeux d’Antonio. Celui-ci veut en savoir plus. Il apprend que la victime était un pilote condamné pour avoir transporté de la drogue et qu’il venait de sortir de prison après 20 ans. Il retrouve sa fille, Maya, qui vit isolée dans une ferme dans les montagnes, à mi-chemin entre la capitale et Medellin. Plongeant dans le passé du père et de sa fille, il découvre que la mère de celle-ci est américaine arrivée en Colombie dans les années 60 comme volontaire du « Corps de la Paix » avant de rencontrer le jeune aviateur Laverde. Plus tard, après de longues années aux USA, elle a péri dans un crash aérien alors qu’elle retournait en Colombie.

La Mort de Pablo Escobar. Fernando Botero.

Juan Gabriel Vásquez est un grand admirateur de Joseph Conrad comme en témoignent la biographie qu’il lui a consacré et son autre roman « Histoire secrète du Costaguana ». « Costaguana » est en effet le nom du pays dans lequel se déroule « Nostromo », le roman de Conrad que la plupart des critiques considèrent comme le meilleur. Le nom du pays est fictif, mais tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agit de la Colombie vers la fin du XIXème siècle. Déjà le pays est balloté par les luttes entre conservateurs et révolutionnaires, les coups d’état et les dictatures. Charles Gould, le riche propriétaire d’une mine d’argent à Sulaco, voulant protéger son trésor des soubresauts politiques confie à Nostromo, un marin italien qui est devenu le patron des dockers et a la réputation d’être « incorruptible », le soin de cacher et mettre en sûreté toute une cargaison de lingots d’argent. Mais le bateau chargé des lingots est touché par le feu des forces révolutionnaires et fait naufrage. Nostromo parvient pourtant à cacher le trésor sur l’île de la Grande Isabelle, mais quand il revient à Sulaco, il annonce que les lingots ont coulé au fond de la mer. De nuit, il va discrètement en barque sur l’île pour grappiller son trésor. Il tombe aussi amoureux de Giselle, une jeune fille à la sœur duquel il est fiancé. Il devient alors peu à peu prisonnier de son trésor et de son secret. Quand on annonce la construction d’un phare sur l’île où est caché le trésor, il parvient à y faire nommer Giorgio Viola, le père de Giselle, comme gardien. Mais ce dernier, le prenant par erreur pour un maraudeur, lui tire dessus et le tue, alors qu’il venait prélever quelques lingots. Nostromo est un roman puissant mais sombre, montrant des personnages incapables d’échapper à leurs destins et aux forces implacables enclenchées par leur soif d’argent.

Les trois romans que j’ai conseillés jusqu’ici sont tous marqués par les conflits et les luttes révolutionnaires qui sont une constante de l’histoire colombienne. Mais chacun contient aussi plusieurs histoires d’amour passionnantes. Souvent d’ailleurs la violence fait obstacle à l’amour. Cependant la plus belle histoire d’amour de la littérature colombienne – sans doute une des plus belles histoires d’amour tout court – est celle qui unit pendant plus de 50 ans Florentino et Fermina dans « L’amour aux temps du choléra (El amor en los tiempos del cólera) » et nous ramène chez Gabriel Garcia Márquez. Nous sommes sur la côte des Caraïbes, dans une ville qui ressemble à Cartagena.  Florentino est tombé amoureux fou de la belle Fermina qui est encore une collégienne. Ils échangent des lettres pleines de promesses. Mais Florentino, un jeune télégraphiste, n’a pas un avenir brillant et sa famille à elle fait tout pour les séparer. Au bout du compte Fermina accepte d’épouser Juvenal Urbino, un riche médecin qui se consacre aux travaux de salubrité publique pour prévenir le choléra. Ce mariage conventionnel lui permet de gravir les échelons de la bonne société mais ne lui apporte pas le bonheur. Florentino qui se réfugie dans la poésie et les séductions clandestines, ne cesse d’aimer Fermina. Quand cinquante ans plus tard son mari meurt, Florentino retourne déclarer sa flamme.  La récente veuve hésite un peu, inquiète du qu’en-dira-t-on, mais finalement accepte de partager sa vie avec son patient et persévérant amoureux. Difficile de ne pas penser à ce couple au long cours quand on se promène sous les balcons débordant de bougainvilliers dans la vieille ville de Cartagena.

« De l’amour et autres démons (Del amor y otros demonios)» est une autre splendide mais tumultueuse histoire d’amour racontée par Gabriel Garcia Márquez.  Presque toute l’histoire se passe dans le couvent de Santa Clara à Cartagena qui a été récemment transformé en hôtel de luxe. Sierva est la fille d’un marquis, mais délaissée par ses parents, elle grandit dans le quartier des esclaves et parle les langues africaines mieux que l’espagnol. Mordue par un chien errant, on craint qu’elle n’ait la rage et on l’enferme dans le couvent pour chasser les démons qui -croit-on- ont pris possession de son corps et de son âme. Mais voici que le père Cayetano, envoyé auprès d’elle pour l’exorciser, tombe amoureux d’elle. Dans une Colombie du XVIIIème siècle encore régentée par l’Inquisition mais déjà marquée par la décrépitude de l’ordre colonial, cet amour partagé mais impossible se terminera en tragédie.

Je termine mon voyage colombien par « Chronique d’une mort annoncée (Crónica de una muerte anunciada) » encore et toujours par l’exceptionnel Gabriel Garcia Márquez. Ce court récit, un véritable tour de force, se présente comme un roman policier à l’envers. Santiago Nasar est tué devant sa porte. D’emblée, les assassins et les motifs du crime sont connus : Pedro et Pablo Vicario veulent venger l’honneur de leur sœur Angela qui a été renvoyée chez elle par son époux le soir de leur nuit de noces parce qu’elle n’est plus vierge. Santiago est soupçonné d’être coupable de la défloraison. Les frères jumeaux, ivres, clament dans tout le village leur intention criminelle. Mais rares sont ceux qui prêtent foi aux rodomontades d’ivrognes, ceux qui pensent à prévenir la victime sont distraits par d’autres tâches urgentes et enfin le hasard malencontreux fait qu’un meurtre annoncé et qui aurait pu facilement être évité est pourtant commis.

La perception que l’on a de la Colombie est souvent tronquée par les images de conflit et de trafic de drogues. Nous nous souvenons des journaux télévisés des années 80 et 90 et la récente (et excellente, par ailleurs) série « Narcos » continue à perpétuer cette vision. Bien sûr, la violence et les années de terreur ont marqué le pays dans sa chair et dans son âme. Nombreux sont les livres que j’ai revus ici qui en témoignent. J’ai visité le Museo de la Memoria à Medellin et appris beaucoup sur la complexité de ces années de conflit. A Medellin, j’ai aussi eu la chance de rendre visite à une organisation, « Proyectarte » qui accompagne des enfants, des jeunes et leurs familles, affectés par l´exclusion, la violence et le déplacement forcé et les aide à développer leur potentiel et renforcer leur résilience à travers la création artistique. Une découverte très forte qui, à l’instar de la littérature colombienne et un voyage inoubliable avec ma famille, a changé mon regard sur le pays du réalisme magique, un pays qui redécouvre la paix.

 

2 réflexions sur “Idées Bouquins, etc… : Colombie”

  1. Merci Damien! Toujours intéressant et inspirant de lire tes rubriques! Suis très curieuse de découvrir ces lectures-ci et de les proposer à Emilie qui part dans qq jours pour 6 mois à Medellin comme volontaire pour un projet pour enfants des rues avec les salésiens – proche de celui que vous avez visité!
    Amitiés à tous chez toi! Kiss, Anne-Marie

    • Bonjour Anne-Marie,
      Super pour Emilie, je lui souhaite bon vent pour son séjour à Medellin.
      Amitiés,
      Damien