Idées Bouquins, etc… : Vietnam

Je reviens d’un splendide et passionnant voyage familial au Vietnam. C’était une découverte pour moi et j’ai donc pris le temps de lire avant, pendant et après le voyage. Les trois guerres qui ont meurtri le Vietnam au XXème siècle, l’invasion et l’occupation japonaise pendant la seconde guerre mondiale, la guerre de libération contre le colonisateur français et finalement celle qui a divisé cette nation en deux et dans laquelle les Américains se sont empêtrés, ont une place prépondérante dans la littérature sur le pays. Il est impossible d’ignorer ce rôle, mais je voulais aussi lire des romans qui parlent du pays en dehors des périodes de conflits. J’ai donc choisi d’écrire deux articles, le premier, celui-ci, sur les livres hors conflits et le second, qui suivra, sur les ouvrages directement inspirés par l’expérience de la guerre. On verra que la distinction n’est pas toujours facile à établir, tant ces guerres ont marqué les esprits.

Photo: Rehann

« Peste & Cholera » de Patrick Deville raconte avec brio la vie d’Alexandre Yersin, un disciple de Louis Pasteur qui découvrit en 1894 le bacille de la peste. Même si c’est à Hong Kong que Yersin isole le bacille qui portera son nom en latin (Yersinia pestis), c’est en Indochine française qu’il passera le plus clair de son temps, y installant des succursales de l’Institut Pasteur, s’établissant dans la baie de Nha Trang, ouvrant les routes terrestres vers le Cambodge, lançant de multiples exploitations agricoles, notamment d’hévéa, et fondant la ville de Dalat. Un personnage fascinant à une époque où les scientifiques les plus pointus étaient aussi des explorateurs qui n’avaient pas froid aux yeux.

« L’Amant » de Marguerite Duras est devenu un classique de la littérature française. C’est l’histoire, en partie autobiographique d’une jeune fille française de quinze ans qui quitte le delta du Mékong et la plantation familiale proche de la faillite pour rejoindre son pensionnat à Saigon. En route, elle rencontre un riche Chinois dont elle tombe amoureuse. Le livre est célèbre comme roman d’initiation, montrant l’héroïne se frayant un chemin entre les plaisirs et les exigences de l’amour, et trouvant sa voie vis-à-vis d’une mère accaparante et dépressive. C’est aussi un fascinant tableau du Vietnam à l’époque coloniale, quand les relations amoureuses entre Européens et Asiatiques étaient mal perçues, des deux côtés d’ailleurs, puisque c’est la famille chinoise qui pousse à la rupture. Le roman de Duras a été adapté au cinéma par Jean-Jacques Annaud dans un film avec de superbes images du Mékong qui a connu beaucoup de succès, mais dans lequel l’écrivain français ne s’est pas reconnue.

Après deux romans recréant l’atmosphère de l’Indochine française avant les conflits, j’aborde maintenant deux livres écrits par des « Viet Kieu », c’est-à-dire des membres de la diaspora vietnamienne qui ont quitté le pays après la chute de Saigon en 1975.  La famille d’Andrew Pham, l’auteur de « Catfish and Mandala: A Two-Wheeled Voyage Through the Landscape and Memory of Vietnam » faisait partie des « boat people » qui ont quitté le Vietnam suite à la victoire du régime communiste du Nord. Son père travaillait pour la propagande du gouvernement du Sud et a été envoyé dans les camps de rééducation après la guerre. Quand il en sort, la famille décide d’embarquer à bord d’un rafiot. Andrew a dix ans. Ils sont sauvés en mer par l’équipage d’un cargo indonésien, restent 18 mois dans un camp de réfugiés à Jakarta avant de se poser en Californie. Devenu adulte, torturé par le suicide de sa sœur aînée, il retourne au Vietnam et entreprend de faire en vélo le trajet de Hanoi à Saigon pour renouer avec ses racines. Le livre, qui malheureusement n’a pas été traduit en français, est très bien écrit et construit, l’histoire de son enfance et de l’exil de sa famille se croisant habilement avec le récit son périple en vélo et sa redécouverte, parfois amère, du Vietnam et de lui-même.

La famille de Kim Thuy, qui a écrit « Ru », a suivi un parcours semblable. Son père était préfet au Sud. Après la guerre, ils ont vécu plusieurs mois dans un camp de réfugiés en Malaisie avant d’atterrir au Québec. Si les expériences des deux familles sont similaires, les livres sont assez différents dans leur écriture. « Ru », un mince ruisseau en français, signifie berceuse en vietnamien. C’est un livre court, écrit avec élégance par petites touches, impressionniste, mêlant les souvenirs de l’enfance à Saigon, de l’accueil et de l’intégration au Québec et les observations qu’elle fait lors de ses retours comme adulte au Vietnam. Autant le livre d’Andrew Pham traduit une confrontation souvent âpre avec son pays d’origine, autant celui de Kim Thuy est fait d’empathie pour l’histoire de sa famille et du Vietnam, même si elle reconnait qu’elle n’a plus le droit de se faire appeler vietnamienne ayant “perdu leur fragilité, leur incertitude, leurs peurs”.

Le trajet Saigon-Hanoi, en train cette fois, a aussi inspiré Cosey dans une bande dessinée avec des dessins d’ambiance superbes et très peu de texte. Il retrace le voyage d’un vétéran américain qui retourne au Vietnam, porté par ses souvenirs, surpris des sourires timides qu’il reçoit sur sa route.

« L’Odeur de la Papaye Verte », film franco-vietnamien de Tran Anh Hung, est aussi très économe de dialogue mais plein d’images somptueuses. C’est l’histoire d’une jeune fille qui arrive de sa campagne comme servante dans une famille bourgeoise de Saigon dans les années 50. Elle découvre et observe un monde tout-à-fait nouveau pour elle dans laquelle elle parviendra cependant à s’intégrer avec délicatesse.

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