Idées Bouquins, etc… : Congo

Le soleil se couchait sur la rivière que traversaient lentement quelques pirogues. J’étais assis avec un collègue sirotant une bière à la terrasse d’un restaurant au bord de l’Oubangui. Nous étions à Bangui sur la rive centrafricaine face au territoire de la République Démocratique du Congo qui s’ouvrait sur la rive opposée. C’était ma première vision du Congo. A en croire les couvertures des livres que je discute dans cet article, cette image d’un large fleuve sur les eaux duquel progresse une pirogue propulsée par un homme debout semble être un des symboles de la vie au Congo.

L’idée de monter à bord d’une de ces pirogues était tentante, mais nous n’en firent rien, faute de visa. Quelques mois plus tard, j’avais prévu de visiter le Parc National de la Virunga dans l’Est du Congo, mais les troubles politiques dans la province du Kivu nous en empêchèrent. Je ne pus pas aller plus loin que le poste frontière entre Gisenyi au Rwanda et Goma au Congo. J’avais l’impression de tourner autour de ce pays gigantesque au cœur de l’Afrique, sans jamais pouvoir y pénétrer.

Le Congo a marqué l’imaginaire des Belges. Je me rappelle des lettres dactylographiées sur papier avion bleu que nous recevions d’une grande tante religieuse au Congo. Plus récemment, mes enfants ont choisi d’écrire leurs travaux de fin d’études secondaires sur la polémique suscitée par Tintin au Congo et sur la contribution de l’uranium du Katanga à la mise au point des premières bombes atomiques à la fin de la seconde guerre mondiale.

Finalement, cet été j’ai eu l’occasion de me rendre à Kinshasa pour une semaine. On m’avait annoncé une ville chaotique. Ce ne fut pas mon impression. Peut-être ai-je eu de la chance, peut-être le contraste avec d’autres villes africaines que je fréquente n’est-il pas si fort, ou bien peut-être que les robots placés au carrefours principaux – sorte d’hybrides entre des policiers et des feux rouges avec un air de Goldorak – faisaient bien leur boulot pour régler la circulation ? A Kinshasa, il suffit d’ailleurs d’un petit détour pour pouvoir faire une pause sur les bords du fleuve Congo. Il y a assez de verdure le long des berges pour se croire en dehors de la ville, même si je n’y ai pas vu de pirogues et si les immeubles de Brazzaville se profilent sur l’autre rive.

 

L’image du fleuve qui est associée au Congo vient peut-être du roman « Au Cœur des Ténèbres (The Heart of Darkness) » de Joseph Conrad. C’est un des tout grands classiques de la littérature anglaise, écrit en 1899, au début de l’ère coloniale, quand le Congo était propriété personnelle du roi Léopold II. Ce récit des premiers blancs venus pour exploiter le pays en remontant le fleuve et qui perdent complètement les pédales (le roman a inspiré le film Apocalypse Now de Francis Ford Coppola qui a transposé l’histoire pendant la guerre du Vietnam) est souvent abordé sous un angle psychologique, mais peut aussi être lu comme la dénonciation des excès du colonialisme.

Pourtant ce livre, peut-être à cause de son titre, sans doute aussi parce que les populations congolaises n’y jouent qu’un rôle de figurants, a contribué à donner à l’Afrique, et au Congo au cœur de celle-ci, l’image d’un continent inaccessible, sombre, sauvage où l’homme blanc civilisé perd ses repères et la raison.

« A Burnt-Out Case » de Graham Greene, traduit de manière un rien surprenante sous le titre de « La Saison des Pluies » en français, peut à première vue apparaître comme offrant un contraste au roman de Conrad. A la fin de la période coloniale, un architecte européen, célèbre mais poursuivi par des rumeurs de scandale, remonte un fleuve congolais à bord d’un bateau pour chercher refuge dans une léproserie. Il s’y fait oublier en aidant le médecin et les missionnaires à soigner les malades. En dépit de son désir d’une vie calme et retirée, il est malgré lui, rattrapé par le scandale et le drame. C’est un excellent roman, mais une fois encore les Congolais y font figure de faire-valoir, cantonnés dans des rôles de lépreux et chauffeurs.

 

 

« A la courbe du fleuve (A Bend in the River) » – comme quoi il est difficile d’échapper à l’imagerie fluviale – est considéré comme un des chefs d’œuvre du Prix Nobel de Littérature V.S. Naipaul, récemment décédé.  C’est l’histoire d’un marchand d’origine indienne qui s’installe dans une petite ville du Zaïre au début de l’époque de Mobutu et commence à fréquenter et observer les milieux belges et zaïrois et leurs interactions. Il décrit un pays qui glisse doucement dans le désordre, la décrépitude et le culte du « grand homme ». Si Naipaul, né à Trinidad et d’origine indienne, peut, comme son narrateur, échapper à la dichotomie colonisateur/colonisé et offrir un angle nouveau, son regard pessimiste sur les années d’après l’Indépendance lui a été reproché.

Dans « Les Yeux dans les Arbres (The Poisonwood Bible) », la romancière américaine Barbara Kingsolver aborde la même période charnière d’avant et après l’indépendance de 1960. Une famille américaine arrive de Géorgie dans une petite bourgade congolaise au bord d’une rivière. Le père, Nathan, est un pasteur baptiste dont les efforts d’évangélisation tourneront court : son intransigeance ne mène nulle part, tandis que sa femme et ses quatre filles tentent tant bien que mal de s’adapter à leur nouvelle vie. Si le personnage du père, qui sombre dans la folie, peut faire penser au « Cœur des Ténèbres », les femmes de la famille, et surtout les quatre filles, donnent une image très différente. Chacune à sa manière essaie de comprendre ce pays qui découvre l’indépendance et entre en relation avec les habitants. Leah épouse même Anatole, l’instituteur du village.

Le livre « Congo. Une histoire » de David Van Reybrouck n’est pas un ouvrage de fiction. Tout en articulant bien les grands axes de l’histoire du pays, il met en valeur le vécu des Congolais lors des différents épisodes et tournants de ce parcours. Je l’ai dévoré comme un roman.

Au fil du temps, les écrivains qui se sont inspiré du Congo ont accordé plus de place aux habitants du pays. Mais au bout du compte, rien de tel que de lire un roman écrit par un auteur congolais. « Tram 83 » de Fiston Mwanza Mujila décrit l’ambiance exubérante du bar éponyme où se retrouvent mineurs, étudiants, hommes d’affaire étrangers et prostituées dans une ville minière de l’intérieur pays. Lucien, écrivain en herbe idéaliste, se fait rouler par le cynique Requiem, les mineurs continuent de risquer leur vie pour des clopinettes, les gamines continuent de grossir les rangs des filles de joie. Bref, il n’y a pas de quoi pavoiser, et pourtant tous les soirs le « Tram 83 » se remplit, la musique et la bière y sont bonnes et la fête bat son plein.

On est loin des pirogues traversant le fleuve à la tombée du jour.

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