Autour de la Mer Rouge : « Black Mamba Boy » de Nadifa Mohamed

Il y a quelques semaines, j’écoutais la version audio du roman « Black Mamba Boy » de l’auteure somalienne Nadifa Mohamed en me promenant le long du Golfe de Tadjourah à Djibouti. L’histoire de Jama, un garçon somali de onze ans, me rappelait celle des nombreux enfants de la rue que l’on croise à Djibouti.

Jama est exilé avec sa mère à Aden pendant que son père, pense-t-on, est chauffeur de camions au Soudan. Dans la ville portuaire yéménite, Jama oscille entre les 400 coups qu’il fait avec ses copains et les petits boulots éreintants. Quand sa maman meurt, il est jeté à la rue et réduit à chaparder les restes des restaurants pour se nourrir. Son clan lui vient en aide et lui fait traverser la mer sur un boutre pour retrouver la famille de son grand-père à Hargeisa au Somaliland. Mal accueilli, il décide de se mettre en route à la recherche de son père. Il fait le trajet vers Djibouti, en partie à pied, en partie embarqué à l’arrière de camions.

Aden

Hargeisa

Nadifa Mohamed retrace en fait l’histoire de son père, qui commence à Aden en 1935. Étonnement, ce parcours, j’aurai pu l’entendre raconter, à quelques détails près, par les enfants de la rue que nous accueillions dans un foyer à Djibouti lorsque j’y travaillais en 1995. Je retourne régulièrement à Djibouti depuis deux ans et la situation des enfants de la rue, et des réfugiés, ne semble pas avoir beaucoup changé. Sur la piste allant vers Holhol, nous avons croisé plusieurs groupes d’hommes, de femmes et d’enfants marchant au soleil, arrivés en clandestins depuis la Somalie ou l’Ethiopie.  Des militaires djiboutiens qui patrouillent sur cette route nous ont affirmé avoir dû enterrer huit personnes mortes de soif en un an.

Djibouti

Sur la piste de Holhol

Après Djibouti, où il est très bien accueilli, Jama continue sa quête du père en Erythrée. C’est l’époque où les Italiens s’y battent contre les Ethiopiens et les Britanniques. Il parvient à établir le contact avec son père près de la frontière soudanaise, mais celui-ci se fait tuer avant qu’ils n’aient pu être réunis. Démoralisé, affamé, il se retrouve enrôlé dans les rangs de l’armée coloniale fasciste en échange d’une pitance. Soumis aux bombardements anglais autour de Keren, humilié par la soldatesque de Mussolini, il déserte et se réfugie dans un village loin du tumulte de la guerre, où il tombe amoureux de la belle Bethléem, qu’il épouse avant de partir vers l’Egypte pour y tenter sa chance dans la marine marchande britannique. Après moultes péripéties, il se fera engager pour remplir de charbon la chaudière de l’Exodus, ce bateau chargé de réfugiés juifs rescapés des camps qui, en 1947, se verra refuser d’aborder dans la Palestine occupée par les Britanniques. Au bout du périple, Jama est débarqué au Pays de Galles, et signe pour une nouvelle traversée vers le Canada. Mais quand un message lui parvient pour lui annoncer que Bethléem a mis au monde un fils, il fait demi-tour pour être réuni avec sa femme et son enfant.

Keren

Keren

A travers le poignant premier roman de Nadifa Mohamed, on découvre l’histoire peu connue de la Corne de l’Afrique prise dans la tourmente de la seconde guerre mondiale et de ses peuples ballottés au hasard des colonialismes italiens, britanniques et français. Ce sont les mêmes lieux, et à peu de choses près, la même époque que celle illustrée dans « Fortune Carrée » de Joseph Kessel, « Les Secrets de la Mer Rouge » d’Henry de Monfreid et les bandes dessinées d’Hugo Pratt (« Brise de Mer » et Corto Maltese dans « Les Ethiopiques ») que j’avais lus en m’installant il y a près de vingt-cinq ans à Djibouti. Ce sont tous des récits d’aventure hauts-en-couleur qui mettent bien valeur l’âpreté des paysages qui encerclent le sud de la Mer Rouge. Mais c’est en lisant « Black Mamba Boy » que j’ai le mieux retrouvé les ambiances, les accents et les habitudes locales que j’avais découverts en vivant à Djibouti, et en visitant Hargeisa ainsi que Massawa, Asmara et Keren en Erythrée.

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