Prague : « L’Insoutenable Légèreté de l’Être » de Milan Kundera

J’ai visité Prague pour la première fois l’été 1989, quelques mois avant l’ouverture du Rideau de Fer. Je me souviens d’un soir où nous marchions sur le Pont Charles – qui n’était pas encore envahi par les touristes : un groupe de jeunes musiciens jouaient des morceaux des Beatles accompagnés d’une guitare et quelques passants dont nous étions formaient un petit attroupement autour d’eux. Soudain deux policiers se sont frayé un chemin à travers le cercle des badauds, et se sont plantés devant les musiciens. Un coup de pied bref mais sec dans la semelle du guitariste assis au pied d’une des statues du pont suffit à transmettre le message : fini de jouer. Le guitariste a rangé son instrument dans son étui, le groupe de spectateurs s’est dispersé. Il était dix heures. Était-ce le couvre-feu ? La musique de rue était-elle interdite. Je l’ignore, mais cet évènement assez anodin en soi m’avait marqué comme symbole du manque de liberté en Europe de l’Est.

Je suis retourné à Prague cet été. La ville est toujours aussi splendide autour des courbes de la Vltava ou vue depuis la colline du Château. Comme souvent, je suis parti me promener très tôt pour profiter de la lumière du matin et éviter les hordes de touristes. L’après-midi nous avons visité dans l’ancien hôtel de ville une très belle exposition de photos commémorant le cinquantième anniversaire de l’écrasement du Printemps de Prague par les chars soviétiques en août 1968. Les photos en noir et blanc de l’époque m’ont tout de suite remis en mémoire « L’Insoutenable Légèreté de l’Être », tant le roman de Milan Kundera que son excellente adaptation au cinéma, et notamment le passage où Tereza sort son appareil pour capturer l’invasion soviétique.

Le roman de Kundera, qui sera publié en Français avant d’être édité dans la version originale tchèque, se situe à l’époque du Printemps de Prague, mais il dépasse ce cadre historique. Il s’articule autour d’un triangle amoureux regroupant Tomáš un chirurgien, intellectuel brillant mais volage, Tereza, la jeune provinciale qui parvient à l’épouser sans cependant empêcher ses infidélités et Sabina, une de ses maîtresses, une artiste qui aime à jouer de sa séduction. L’histoire souligne ces moments où la vie oscille entre pesanteur et légèreté, entre amour et frivolité, entre indifférence et révolution. Après l’invasion soviétique, Tomáš et Tereza s’exilent en Suisse où ils retrouvent Sabina. Mais Tereza a le mal du pays et retourne en Tchécoslovaquie, malgré la chape de plomb sous laquelle le pays doit vivre. Tiraillé, Tomáš choisit de retourner auprès de sa femme, même si son engagement dissident lui fait perdre son emploi et qu’il se retrouve sur une échelle à laver des vitres. Un laveur de carreaux qui ne peut s’empêcher de séduire les femmes restées au logis…

Milan Kundera LOADED FROM ZZ

Le livre de Kundera balance ainsi, avec virtuosité, entre un récit passionnant et une réflexion philosophique qui n’est jamais pesante. C’est un chef d’œuvre que je conseille de lire ou de relire, à Prague ou ailleurs.

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