Anvers : Trouble par Jeroen Olyslaegers

Anvers est la ville natale de mon père, celle où mes grands-parents paternels se sont rencontrés et mariés avant de déménager vers Bruxelles après la seconde guerre mondiale. Mon père, né en 1941, avait été emmené habiter quelques semaines dans la cure d’un village des environs pour échapper aux « bombes volantes », V1 et V2, que les Allemands envoyaient sur la ville et le port, une fois ceux-ci libérés par les Alliés. Malgré cette précaution, un de ses premiers souvenirs d’enfant, nous raconta-t-il, est d’avoir dû être habillé debout sur une chaise parce que le souffle des explosions avait brisé les carreaux des fenêtres de la chambre où il dormait.

La cure de Zoersel

Le roman « Trouble (Wil) » de l’écrivain flamand Jeroen Olyslaegers est une plongée à la fois captivante et « troublante » dans les tribulations de la ville pendant la seconde guerre mondiale. Le narrateur Wilfried Wils fait son récit depuis deux perspectives. Celle d’un jeune homme de dix-huit ans, admirateur de Rimbaud, qui s’engage dans la police anversoise au début de l’occupation allemande pour échapper au travail obligatoire. Et, intervenant par à-coups, celle d’un vieillard, un poète ignoré, qui écrit à son arrière-petit-fils pour essayer de démêler ses souvenirs.

Au début du récit, la jeune recrue est forcée de participer à une rafle nocturne dans le quartier des diamantaires juifs. Il ne sait pas trop comment réagir, coincé entre la présence de la Gestapo et les appels à la pitié des mères et enfants. Vers la fin du livre, il assiste impuissant, le 16 décembre 1944 à l’explosion du cinéma Rex sur la Keyserlei, touché par un V2. Cette bombe volante fera 597 morts parmi les spectateurs, 296 soldats alliés et 271 civils anversois.

Entre ces deux événements, Wilfried balance sans trop voir clair. Son ancien tuteur de français, un certain Barbiche Teigneuse, l’emmène dans les cafés où se réunissent les collabos et où les officiers SS font danser les filles faciles. Son collègue Lode Metdpenningen, qui est aussi le frère d’Yvette dont il tombe amoureux, l’attire vers les cercles de résistants. Wilfried en vient même à amener régulièrement des vivres et des livres à Chaïm Litzke et sa famille, des juifs cachés par le père de Lode. Mais celui-ci se fait-il rémunérer en diamants pour cette assistance interdite et dangereuse ? La tante de notre policier, elle, passera vite des bras d’un Oberscharführer des SS à ceux d’un sergent américain.

Un soir la police anversoise doit effectuer une rafle dans le quartier juif. Mais cette fois, elle n’est pas là « pour maintenir l’ordre » tandis que les gestapistes et autres sbires tambourinent sur les portes. Pas d’Allemands, ce soir-là. C’est la police elle-même qui doit réveiller, rassembler et embarquer les familles vers les convois de la mort. Une tache indélébile sur la mémoire de la ville qui ne présentera que très tardivement, en 2007, ses excuses, non sans causer des remous politiques. Une tache aussi dans l’âme de Wifried Wils. En se suicidant, sa petite-fille, une rebelle qu’il adorait, a laissé un mot : « Bon-papa est un salaud ». Yvette qui est devenu sa femme sombre dans l’alcool, le reste de sa famille l’abandonne.

Le roman décapant de Jeroen Olyslaegers, très bien traduit en français, fait plusieurs fois référence au tableau Margot la Folle (ou Dulle Griet en flamand) comme symbole de cette période où la métropole anversoise ne savait plus où donner de la tête au milieu du carnage.  Cette œuvre majeure de Pierre Brueghel l’Ancien qui se trouve dans le petit mais superbe musée Mayer van den Bergh est une des nombreuses raisons de visiter une ville vibrante et superbe qui a laissé ses années troubles loin derrière elle.

Musée Mayer van den Bergh

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