Ouagadougou, Burkina Faso: Le Parachutage par Norbert Zongo

Qui connaît le Burkina Faso ? Pas grand monde. Qui connaît Ouagadougou ? Le nom est plus familier, sans doute un peu parce que sa phonétique fait sourire les connaisseurs des capitales du monde.

Cela fait plus de dix ans que je voyage environ une fois par an vers la capitale du « Pays des Hommes Intègres ». Alors, me direz-vous qu’y-a-t-il à voir à Ouagadougou ? Je serai assez en mal de vous répondre, en tous cas si ce sont les attractions touristiques classiques que vous recherchez. Il y a bien quelques marchés typiques, la Place des Cinéastes avec sa statue qui célèbre les réalisateurs – normal pour une ville qui se pose comme la « Cannes de l’Afrique »  et une cathédrale avec une tour inachevée.

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Place des Cinéastes

Pourtant, jamais je ne me suis ennuyé à Ouaga. On y mange bien, les Burkinabés sont accueillants, charmants et pleins d’humour. Le soir, après le travail, on a presque l’embarras du choix : concerts, cinéma, théâtre. Lors de mon dernier voyage, après un premier café-concert du groupe « Négroïdes » à l’Institut Français, mes voisins de table m’ont recommandé un concert de slam au Bar K. Un bar-concert que j’ignorais et un groupe de quatre slammeurs, « Qu’on sonne et Voix ailes », qui ont enchaîné pendant plus d’une heure en quatuors, duos ou solos des déclamations chantées de textes poétiques. J’étais soufflé par la qualité des textes, la musique, l’humour, et le sens de l’observation de la vie quotidienne.

Les dernières chansons rappelaient l’histoire récente du Burkina Faso : la tentative de Blaise Compaoré, au pouvoir depuis 27 ans, de changer l’article 37 de la Constitution pour briguer un nouveau mandat présidentiel, le soulèvement populaire d’octobre 2014 qui l’en empêcha et le chassa du pays, sa récente tentative avortée de téléguider depuis son exil un coup d’état militaire. La salle se leva pour chanter avec le quatuor, poings levés, fier de la révolution et de la transition accomplie pacifiquement.

Mine de rien, sans qu’on s’en émeuve outre mesure en dehors de ses frontières, le Burkina Faso semble avoir réussi ce que très peu de ses voisins africains – ou même les pays du « Printemps Arabe » – ont obtenu : chasser, sans trop d’effusion de sang et sans plonger dans la guerre civile, un « homme providentiel » devenu dictateur/dinosaure qui plie les règles électorales et constitutionnelles à son bon vouloir pour enfiler les mandats au nom de la stabilité.

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Le Burkina Faso a le droit d’être fier. Le journaliste et écrivain Norbert Zongo est peut-être l’exemple le plus frappant de ces « Hommes Intègres ».

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Norbert Zongo

Journaliste d’investigation qui enquêtait malgré les pressions sur un crime commis dans l’entourage de Blaise Compaoré, il sera assassiné en 1998 par des éléments de la garde présidentielle. Le documentaire « Borry Bana » raconte bien cet épisode clef de l’histoire récente du Burkina Faso et l’émotion causée par ce crime resté impuni.

Aujourd’hui, à côté des graffitis qui exigeaient « Blaise, dégage ! »,  les murs de Ouagadougou réclament « Justice pour Norbert Zongo ». Chose impossible avant 2014, j’ai pu acheter, dans la rue, son roman « Le Parachutage ». Le roman qui date de 1988 est presque prémonitoire. Le dictateur du Watinbow, un pays fictif qui pourrait être le Burkina Faso, ou le Togo voisin où Zongo étudiait à l’époque, est chassé par un coup d’état militaire. Il doit s’enfuir dans la brousse. Il s’accroche un temps à ses millions planqués en Suisse, ses maîtresses et son whisky et espère revenir au pouvoir à partir du pays voisin. Mais bien vite il doit déchanter et le piège se referme sur lui. Le dictateur déchu devient pathétique, au point d’apparaître presque sympathique.

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Je pensais à tout cela l’autre soir en rentrant des deux concerts auxquels j’avais assisté, marchant seul, en sécurité, dans les rues de Ouagadougou : le Burkina Faso, un pays méconnu mais dont l’histoire récente est impressionnante. Ouaga, une ville où il n’y a presque rien à visiter, mais où on ne s’embête jamais. Bref une perle rare, un trésor bien caché.

Et puis cinq jours après mon départ, un autre vendredi soir, des terroristes balaient à l’arme automatique la terrasse du café-restaurant « Cappuccino » où je déjeune souvent à midi. 30 morts. Choquant de voir les images de ce coin de rue que je connaissais dévasté par la haine aveugle. Alors, finie l’insouciance des promenades dans Ouaga au gré des concerts et des films ? Finie l’exception d’un Burkina Faso pacifique ? J’espère que non et que les musiciens burkinabés réunis pour riposter aux attentats – parmi lesquels les quatre slammeurs de « Qu’on sonne et Voix ailes » – ont raison de chanter « Tu te trompes ! ».

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