Muriel prévoit un voyage à Saint-Pétersbourg et me demande quelques suggestions de livres. A tout seigneur, tout honneur, « Crime et Châtiment » de Fiodor Dostoïevski, un des chefs d’œuvre de la littérature russe et mondiale, se passe presque entièrement dans la ville. Ce n’est pas le Saint-Pétersbourg des palais impériaux et aristocratiques que l’on découvre, mais celui des ruelles obscures, des appartements minables et des tavernes, un univers que Dostoïevski a connu et fréquenté. C’est là que Raskolnikov tue, presque sans motif et par désœuvrement, une prêteuse sur gage et sa sœur et pense avoir commis un crime parfait. Mais rongé par le remord, touché par son amour pour Sonia, une jeune prostituée, dévoré par la fièvre, il finira par avouer son crime et subira son châtiment dans une colonie pénitentiaire en Sibérie. A Saint-Pétersbourg on peut maintenant marcher sur les traces de Raskolnikov et le musée Dostoïevski a ouvert une exposition célébrant les 150 ans du roman.
« Les Nuits Blanches » est un récit plus court de Dostoïevski. Je l’avais lu avant de visiter la ville fin juin – début juillet, pendant ces quelques jours où le soleil ne se couche pas à Saint-Pétersbourg et où la foule se promène vers trois ou quatre heures du matin sur la Perspective Nevski, sortant des restaurants et cafés. C’est l’histoire d’un jeune homme désœuvré qui déambule le long des canaux pétersbourgeois pendant les nuits blanches. Sur un pont, il aperçoit une jeune fille qui pleure. Il n’ose l’approcher, jusqu’à ce qu’il s’interpose quand un ivrogne cherche à l’importuner. Il raccompagne Nastenska dans sa maison et elle se confie à lui…
Les deux chefs-d’œuvre de Léon Tolstoï, « Guerre et Paix » et « Anna Karénine » incluent de nombreux chapitres à Saint-Pétersbourg, même si tout le récit ne s’y déroule pas. Dans les deux romans, c’est la capitale impériale qui sert de toile de fond, avec ses palais, ses mondanités, ses bals, mais au cœur des intrigues, c’est la passion, la liberté face à son destin et le souffle de l’histoire qui sont les moteurs de l’action. Ces deux romans fleuves ont été de nombreuses fois adaptés au cinéma, notamment avec Audrey Hepburn et Henry Fonda jouant Natacha et Pierre pour « Guerre et Paix » et plus récemment Keira Knightley et Jude Law jouant dans Anna Karénine.
Le roman de Joseph Conrad « Sous les Yeux de l’Occident (Under Western Eyes) » se passe à moitié à Saint-Pétersbourg et à moitié à Genève. Razoumov est un étudiant à l’université de Saint-Pétersbourg qui est impliqué malgré lui dans un attentat terroriste contre le pouvoir tsariste : il a aidé un autre étudiant, Haldine, un des assassins d’un Ministre d’Etat à s’échapper, mais va ensuite le dénoncer à la police qui l’arrête et l’exécute le jour-même. On retrouve ensuite Razoumov à Genève, où parmi la nombreuse communauté russe, il fait la connaissance de la mère et de la sœur d’Haldine.
La Perspective Nevski est l’artère principale et la plus prestigieuse de Saint-Pétersbourg. C’est aussi une nouvelle de Nikolaï Gogol : deux amis, un artiste-peintre et un lieutenant repèrent deux charmantes jeunes filles sur l’avenue, l’une à la pureté virginale, l’autre un peu aguicheuse. Chacun se met à suivre celle qui lui plaît le plus, arrivant jusque chez elles. Tous les deux seront passablement surpris. L’histoire se termine tragiquement pour l’un et en farce humiliante pour l’autre.
L’essentiel de l’œuvre de Tchékov, théâtre et nouvelles, se situe dans la campagne russe, mais “Récit d’un Inconnu” est une courte histoire qui se passe à Saint-Pétersbourg. Un jeune socialiste se fait engager comme domestique chez le fils d’un homme politique tsariste qu’il faut fait faire disparaître. Le prétendu domestique voit comment Orlov fils, un fonctionnaire cynique, méprise sa maîtresse qui est venue vivre chez lui et attend un enfant de lui. Le domestique provoque la rupture en racontant tout à la jeune femme et tous deux s’enfuient en Italie et en France. Elle meurt en couches et l’ancien terroriste, faux domestique, s’occupe du bébé, la petite Sonia.
Tous les livres que j’ai mentionnés jusqu’ici ont été écrits avant la Révolution Russe de 1917 et l’avènement du régime soviétique. Le film de Sergueï Eisenstein « Octobre – Dix jours qui ébranlèrent le monde » fait le récit de cette révolution dans les rues de Saint-Pétersbourg. C’est un film muet de 1927 avec une musique de Chostakovitch. On peut voir ce film comme un classique de propagande soviétique, ce qu’il est, même si Eisenstein fut critiqué pour avoir donné trop libre cours à son sens artistique. On est libre de penser ce qu’on veut du régime communiste qui a succédé à la Révolution d’Octobre. Mais deux choses sont sûres : Eisenstein était un grand cinéaste et ces dix jours ont en effet ébranlé le monde pour près d’un siècle.
