Le Cap: Scènes de la vie d’un jeune garçon, Vers l’âge d’homme et L’été de la vie par J.M. Coetzee.

Le Cap est une de ces villes qui se sont établies entre mer et montagne. Et quelle montagne ! Table Mountain domine la ville comme dans une pince. Quand je me promenais ou dinais au soleil sur le Waterfront, il suffisait que je tourne la tête pour la voir changer de couleurs avec l’heure du jour et parfois se couvrir d’une nappe de nuages, formant comme la mousse d’un cappuccino.

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J’aime monter à pied vers le sommet de Table Mountain. Deux heures de marche environ, souvent en plein soleil, à trouver l’ouverture dans la roche qui permet de se hisser sur les bords du plateau. Quelques arrêts pour reprendre son souffle, avaler une orange, partager avec ses compagnons de montée la beauté de la vue sur la ville et l’océan.

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Ma dernière ascension à Table Mountain est restée à jamais gravée dans ma mémoire. Lors de notre arrivée l’avant-veille, en nous installant à l’hôtel nous avions appris la mort de Nelson Mandela. Le pays était en deuil. J’avais assisté à une cérémonie d’hommage à la Cathédrale St-Georges, juste en face de mon hôtel. C’était l’église de Desmond Tutu quand il était archevêque du Cap. Le pasteur invita l’audience à partager leurs souvenirs de Madiba. Les témoignages spontanés se succédèrent pendant près d’une heure et représentaient l’ensemble de la palette ethnique de la ville.

Je profitais aussi de ce séjour au Cap pour visiter Robben Island, l’ancienne île-prison où Nelson Mandela a vécu 18 des 27 ans qu’il a passé derrière les barreaux avant la fin de l’apartheid. C’est là qu’il développera une relation d’amitié avec son gardien. Deux autres présidents de la République sud-Africaine et de nombreux autres activists politiques y furent aussi incarcérés. La visite est guidée par d’anciens prisonniers qui racontent, non sans une dose d’humour, la vie quotidienne, les humiliations, la solidarité. Ce week-end-là, l’arrêt devant l’ancienne cellule de Mandela était chargé d’émotion.

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Robben Island fait partie de la vue que l’on découvre du sommet de Table Mountain. Un peu comme l’histoire de l’apartheid dans le paysage de l’Afrique du Sud contemporaine, ou dans l’œuvre de J.M. Coetzee, le prix Nobel de littérature né au Cap. J’ai lu, un peu dans le désordre, la trilogie dans laquelle l’écrivain, avec un détachement fascinant, raconte le début de sa vie : Scènes de la vie d’un jeune garçon (Boyhood), Vers l’âge d’homme (Youth) et L’été de la vie (Summertime), réunis en anglais dans le volume « Scenes from Provincial Life ».

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L’originalité de cette biographie en trois volets réside dans l’introspection minutieuse avec laquelle l’auteur décortique ses émotions. Dans les deux premiers livres, il parle de lui à la troisième personne pour observer son enfance dans plusieurs quartiers ou banlieues du Cap, oscillant entre un père qui échoue professionnellement et se met à boire et une mère protectrice qui regrette son statut perdu. Le garçon est aussi tiraillé entre son héritage Afrikaner qu’il retrouve avec joie lors de retours à la ferme familiale, et l’anglais plus cosmopolite qu’il parle avec ses parents. Dans « Vers l’âge d’homme », il quitte Le Cap pour Londres, espérant s’arracher du provincialisme sud-africain. Parti comme étudiant, il devient un employé peu enthousiaste d’IBM, s’essaye à la poésie et décrit avec la même stupéfiante neutralité ses différentes tentatives et expériences amoureuses, tout en suivant les soubresauts de la lutte politique dans son pays d’origine.

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« L’été de la vie » est un tour de force. Coetzee est de retour au Cap. Mais sa vie, à l’époque de ses premiers succès littéraires, est maintenant racontée à travers des notes d’interviews de plusieurs personnes qui l’ont connu : une ancienne amante, des collègues académiques, sa cousine préférée Margot qui reste son lien avec sa famille Afrikaner dans le veld. En filigrane,  on retrouve le même personnage, toujours un peu à l’écart, d’apparence froide et renfermée, qui semble ne pas trouver sa place dans l’Afrique du Sud du début des années 70.

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