Idées bouquins, etc… : Africains en Amérique

Je commence une courte série sur des romans décrivant l’expérience d’immigrants africains en Amérique. Il se trouve que j’ai récemment lu plusieurs livres qui adoptent cet angle, et comme je suis moi-même un étranger vivant aux Etats-Unis, et qu’en outre je voyage souvent en Afrique, ces romans m’ont passionné.

Lincoln Park, Chicago

Le premier est « Americanah » écrit par la romancière nigériane Chimamanda Ngozi Adichie et disponible en traduction française. Ifemelu et Obinze sont deux adolescents qui tombent amoureux dans une école secondaire de Lagos. Ifemelu s’en va étudier aux USA. Elle essaie de s’adapter, découvre le racisme, mais aussi les différences entre les noirs américains et les immigrants africains, racontées avec beaucoup de saveur lors de discussions dans un salon de coiffure afro. Elle vit des aventures amoureuses successives avec Blaine, un professeur noir américain et Curt, un blanc de la classe aisée. Peu à peu elle gagne une certaine notoriété en écrivant un blog décalé sur les relations raciales en Amérique. Obinze, de son côté, n’a pas réussi à émigrer aux Etats-Unis et a atterri à Londres où il se retrouve à faire des petits boulots en situation illégale. Il est expulsé vers le Nigeria, où il parvient un peu par chance à se faire une place au soleil dans l’immobilier. Il mène la grande vie, avec une épouse parfaite et des enfants inscrits dans les meilleures écoles de Lagos. Mais voilà, qu’Ifemelu, qui avait coupé les ponts avec lui depuis plusieurs années, revient au pays. Une très belle histoire d’amour à travers trois continents, une très fine observation, pleine d’humour, des relations de race et de classe, un vrai plaisir.

 

« Voici venir les rêveurs (Behold the Dreamers) » par la romancière camerounaise Imbolo Mbue nous emmène de Limbe, petite ville au bord de la mer et au pied du Mont Cameroun, dans la partie anglophone du pays à New York. Jende Jonga arrive de Limbe à Manhattan en ayant réussi à arranger un visa de visiteur qu’il rêve de transformer en « green card ». Il travaille comme chauffeur, d’abord pour un service de limousines, mais parvient ensuite à se faire engager comme chauffeur privé par Clark Edwards, un directeur chez Lehman Brothers. Nous sommes en 2007. Jende fait venir sa femme Neni et son fils Liomi et s’installe à Harlem. Il conduit Clark partout dans la ville, de même que sa femme Cindy et leurs deux enfants. Neni étudie la pharmacie, et va aussi donner un coup de main chez les Edwards quand ceux-ci s’installent l’été dans les Hamptons. Comme chauffeur, Jende est un modèle de discrétion même s’il ne rate rien de la faillite de Lehman Brothers ou des escapades sexuelles de Clark. Neni, par contre, se mêle de tout et se laisse entraîner dans la tourmente qui emporte le mariage des Edwards. Un choc des cultures, décrit avec finesse, ironie et générosité, un très beau livre qui nous montre la force d’attraction qu’exerce encore le rêve américain.

Times Square, New York

Dans « Les belles choses que porte le ciel (The Beautiful Things that Heaven Bears) », l’écrivain d’origine éthiopienne Dinaw Mengestu nous raconte l’histoire de Sepha Stephanos qui a quitté très jeune Addis Abeba alors que son père avocat se faisait persécuter par le régime. Il tient maintenant vaille que vaille une épicerie sur Logan Circle à Washington, DC. Il retrouve souvent ses amis « Congo Joe » et « Ken the Kenyan » deux autres immigrants d’Afrique qu’il a rencontrés lors de son premier job dans un hôtel. Logan Circle est un ancien quartier prestigieux de la capitale, mais qui est maintenant devenu décrépit. Un endroit où peu de Blancs s’aventurent, sauf les policiers et les travailleurs sociaux. Pourtant voilà que Judith, une mère célibataire blanche s’installe avec Naomi, sa fille métisse, dans une des belles maisons de la place, maison qu’elle rénove avec goût. Naomi passe son temps après l’école dans la boutique de Sepha à lui tenir compagnie. L’attachement de Naomi rapproche Sepha de Judith et ils pourraient presque tomber amoureux. Mais les habitants du quartier n’apprécient guère l’arrivée de Judith, annonciatrice de la gentrification des lieux. Encore un roman écrit avec beaucoup de subtilité et sans aucun pathos et qui raconte merveilleusement les espoirs, les attentes, les malentendus et les déconvenues qui jalonnent le parcours des Africains s’installant aux USA.

Logan Circle, Washington DC

Le roman « Chicago » de l’écrivain égyptien Alaa El Aswany met en scène un groupe d’immigrants égyptiens qui gravitent autour du département d’histologie à l’Université de l’Illinois à Chicago. On y retrouve deux professeurs d’origine égyptienne – ainsi qu’un chirurgien cardiaque copte –  installés depuis longtemps et qui semblent avoir choisi « l’American way of life » : femmes américaines, carrières académiques exemplaires, un bon whisky le samedi soir. Pourtant l’un a la nostalgie de ses années de jeune médecin au Caire et de son amour de jeunesse qu’il a laissé derrière lui et l’autre a du mal à se comporter en père moderne quand sa fille sort avec un artiste fauché et junkie. On fait aussi la connaissance des étudiants égyptiens, tous très travailleurs, mais venu d’horizons différents : un opposant politique, le président de l’union des étudiants égyptiens qui est à la solde des services secrets, ou encore une jeune fille brillante venue d’un modeste et traditionnel milieu rural qui tombe amoureuse et enceinte d’un de ses condisciples sans être mariée. L’intrigue se noue autour de la visite du Président égyptien à Chicago et de la tentative de lire un message dénonçant les exactions du régime devant le chef d’état et en présence des caméras de télévision. Cela nous rappelle qu’El Aswany, au-delà de son talent d’écrivain reconnu dans tout le monde arabe et internationalement, est au départ un dentiste qui a étudié à Chicago et est depuis devenu un des porte-parole de l’opposition lors du « Printemps égyptien ». Son roman « Chicago », que j’ai beaucoup aimé, a aussi  fait pas mal de vagues en Egypte pour sa description directe – mais sans malice ou vulgarité – de la vie sexuelle de ses personnages. Ça aussi c’est révolutionnaire pour l’Egypte.

 

Je me suis beaucoup amusé en faisant ce tour d’horizon littéraire passionnant d’expériences d’immigrations aux Etats-Unis vues par quatre écrivains Africains. Loin des clichés, des préjugés et d’une sentimentalité facile. Chacun des quatre livres garde un ancrage très spécifique dans la culture d’origine de l’écrivain, mais tous offrent ce regard de découverte, d’appréhension, de surprise et d’humour face à la réalité américaine, finalement assez proche de ma propre expérience. Et ils m’ont fait apprécier New York, Chicago et Washington sous des angles que je ne soupçonnais pas.

Grant Park, Chicago

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