Dubrovnik : Le Palais en noyer de Miljenko Jergović

Quand j’ai visité Dubrovnik pour la première fois, la Perle de l’Adriatique était encore en Yougoslavie. J’avais découvert, émerveillé, cette ville médiévale enchâssée dans ses remparts entre les collines et le bleu de la Méditerranée. A l’intérieur des murs, on se promène à pied sur Stradun, la rue principale au pavement brillant, usé par le passage des siècles. On cherche un peu d’ombre pour mieux apprécier l’architecture des monastères et palais qui s’alignent entre les deux portes de la ville. Je suis revenu à Dubrovnik en famille il y a un peu moins de deux ans. La ville est toujours aussi belle, même si les touristes – notamment ceux attirés par les lieux rendus populaires par la série « Games of Thrones » – sont nombreux. L’après-midi, nous sommes partis sur la splendide île de Lokrum pour échapper à la foule et nous rafraîchir en nageant. Nous sommes revenus en fin de journée pour faire le tour des murailles avant de manger dans une des petites rues de la ville.

Lors de cette dernière visite, nous étions venus de Kotor, passant la frontière entre le Monténégro et la Croatie, rappel de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie. Entre mes deux visites à Dubrovnik, j’ai eu d’autres occasions de voyager dans la région. Je me souviens que lors d’une traversée express l’été 1989, roulant de Hongrie en Grèce en moins de 24h, j’avais été frappé que les tarifs des péages sur l’autoroute yougoslave étaient inscrits à la craie sur un tableau noir, à cause de l’inflation galopante. En 1993, j’ai aussi passé un mois en Istrie, au nord de la Croatie, travaillant comme volontaire dans un camp de réfugiés bosniaques, alors que la guerre sévissait plus au sud.

J’ai retrouvé Dubrovnik et approfondi ma connaissance de l’histoire compliquées de la Yougoslavie en lisant « Le Palais en noyer » de Miljenko Jergović. Né à Sarajevo et vivant à Zagreb, l’écrivain raconte, avec humour et générosité, la vie de Regina Delavale qui meurt en 2002 à Dubrovnik, à l’âge de 97 ans. Cette histoire, il la narre à l’envers, partant du décès dans un hôpital de la presque centenaire jusqu’à sa naissance en 1905.

Ce parcours à rebours est d’abord surprenant, mais il permet de comprendre certains des événements avec le bénéfice du recul. C’est au fil des chapitres que l’on découvre les membres de la famille de Regina, ceux qui lui survivent, et ceux qui sont morts en chemin, notamment lors des tragiques conflits qui n’ont pas épargnés les Balkans au XXème siècle, de leur sortie de l’Empire austro-hongrois à l’éclatement de la Yougoslavie. Jergović conduit le lecteur dans ce labyrinthe à reculons, le tenant par la main en esquissant la trame de l’histoire de l’ex-Yougoslavie. Certains des frères de Regina se retrouvent – et meurent – dans les camps opposés, Tchetniks et Oustachis, lors de la seconde guerre mondiale. A la même époque, son mari, partage une cachette en Bosnie avec un riche armateur juif. Marin, il passera sa vie sur les mers et dans les ports, et s’attachera à, une autre femme en Amérique, laissant Regina seule à Dubrovnik. En mai 1980, toute la ville s’arrête comme prise de stupeur et de crainte pour l’avenir lorsque la radio annonce la mort de Tito.

Dubrovnik, avec ses quartiers où tous les voisins se connaissent et s’observent, est le centre du roman, qui rayonne pourtant dans toute la région, par exemple à Sarajevo, où Dijana, la fille de Regina s’enfuira pour vivre avec son ami dans les années 1970. Dans le dernier chapitre (mais le premier du point de vue chronologique, en 1904), le grand-père de Regina commande à un artisan de sculpter dans du noyer une maison de poupée. Ce sera son cadeau de naissance pour sa petite fille qui va traverser un siècle mouvementé et voir sa maison se remplir avant de se vider, au fil des événements, oscillant, comme le roman, entre comédie et tragédie.

 

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