Vancouver : Ce dont on se souvient (What is Remembered) par Alice Munro

J’ai une attirance particulière pour les hydravions. Est-ce un souvenir de mes lectures de Tintin ? Est-ce parce que je n’en ai pas vu souvent (j’ai un souvenir d’un amerrissage sur un fjord norvégien) ? Ou bien le sentiment de liberté que donne cet avion qui, pour peu que l’environnement soit suffisamment aquatique, semble pouvoir décoller et se poser à peu près partout ?

Lors de ma visite à Vancouver, une semaine pluvieuse de novembre, les hydravions étaient omniprésents. Je découvris leur ballet en arrivant au centre de conférence alors que le soleil se levait à travers les nuages sur le port et que je me remémorais les premières lignes du poème de Marcel Thiry « Toi qui pâlis au nom de Vancouver ». Un hydravion arrivait pour se garer le long du quai en contre-bas de la terrasse du Convention Center. Un autre repartait quelques minutes plus tard. Malgré la pluie toujours menaçante, je fis plusieurs promenades lors de mon séjour, notamment vers Stanley Park et ses vues sur la mer, la ville et les montagnes. A plusieurs reprises, je levai la tête pour suivre un hydravion qui décollait ou descendait. Comme une ouverture vers les îles de la côte du Nord-Ouest de la Côte Pacifique.


Un matin, les nuages en se dégageant avaient laissé apparaître les premières neiges au sommet des montagnes. Vancouver est cette ville fascinante où l’hiver, sans qu’un flocon de neige ne tombe dans les rues du centre, il suffit de monter dans un bus municipal, de traverser le bras de mer sur Lions Gate Bridge et de grimper dans une télécabine pour atteindre en une heure les pistes de ski et la poudreuse fraîchement tombée.

Le docteur Asher est un des personnages de la nouvelle  » Ce dont on se souvient (What is Remembered) » d’Alice Munro, publiée en français dans le recueil « Un peu, beaucoup …pas du tout (Hateship, friendship, courtship, loveship, marriage) ». C’est un médecin de campagne qui se déplace en avion. On ne dit pas s’il s’agit d’un hydravion. C’est en avion qu’il est arrivé d’une des îles de la Colombie Britannique à Vancouver pour l’enterrement de Jonas, un de ses patients.

Jonas était aussi l’ami d’enfance de Pierre qui a aussi fait le déplacement avec sa femme Meriel pour funérailles. Elle voudrait profiter de son passage dans la ville pour rendre visite à Tante Muriel, une amie de sa mère, dont elle a hérité le prénom avant que celui-ci ne soit transformé. Pierre doit rapidement reprendre le ferry pour retrouver leurs enfants et libérer la baby-sitter. Le docteur s’offre pour emmener Meriel dans sa voiture de location à la maison de repos où réside Tante Muriel, qui souffre de la cataracte et qui à leur arrivée demande :

“Comment s’appelle ton mari?”

“Pierre.”

“Et tu as deux enfants, n’est-ce pas ? Jane et David?”

“C’est juste. Mais l’homme qui est avec moi –”

“Ah, non,” dit la vieille Muriel. “Ce n’est pas ton mari.”

Plus tard, seule sur le pont du ferry, alors que bat une pluie fine, Meriel se souvient du reste de la journée : le trajet vers Stanley Park, leur baiser en public à Prospect Point et elle qui lui dit « Emmenez-moi ailleurs », l’appartement près de Kitsilano Beach où il logeait et où il l’emmène…

Bien plus tard, après que le docteur soit mort dans un accident d’avion – elle avait vu sa photo dans le journal – et après la mort de son mari, elle se rappellera aussi que le docteur lui avait refusé un baiser d’adieu alors qu’il la déposait à l’embarcadère du ferry (« Non. Je ne le fais jamais »).

Ce récit est un superbe exemple de l’art de la nouvelle tel qu’il est pratiqué par Alice Munro. Lorsqu’elle fut consacrée par le Prix Nobel en 2013, l’octogénaire canadienne fut comparée à Tchekhov et célébrée comme la « reine de la nouvelle ». Les lecteurs francophones ont pu alors découvrir les recueils recelant les diamants parfaitement taillés que sont ses nouvelles. La plupart de ses histoires se déroulent dans les villes provinciales de son Ontario natal, mais dans les années 50, elle vécut avec son premier mari à Vancouver. C’était une époque de sa vie, écrit-elle dans « Ce dont on se souvient », où les maris entamaient leurs vies sérieuses et résolues (travail, prêt hypothécaire), tandis que leurs femmes pouvaient retomber dans une sorte de seconde adolescence.

 

 

Commentaires fermés.