Namibie : Entre désert et histoire

Un ancien président français a soulevé un tollé il y a un peu plus de dix ans en croyant judicieux de dire dans un discours que « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ».  Un certain type de voyage en Afrique peut conforter cette impression. Notre récent voyage familial en Namibie commençait par l’exploration du désert du Namib et se terminait par la visite du parc d’Etosha. Entre l’immensité minérale et aride des dunes et montagnes et l’excitation de suivre des lionnes en chasse ou d’approcher des rhinocéros à pied, il n’est pas impossible de penser, de prime abord, qu’on a débarqué dans une partie du monde où hommes et animaux vivent au rythme des saisons depuis des millénaires. Même les superbes gravures rupestres de Twyvelfontein, réalisées il y a plus de 2000 ans, sembleraient accréditer cette idée.


Twyvelfontein

Et pourtant…

Entre désert et safari, nous nous sommes arrêtés à Swakopmund au bord de l’océan atlantique. Difficile dans cette ville d’échapper à la réalité que la Namibie fut une colonie allemande : commerces aux enseignes en lettres gothiques, biergarten, école allemande, architecture qui rappelle celle des villes hanséatiques. La Namibie fut le Sud-Ouest africain allemand de 1884 à la fin de la première guerre mondiale, avant d’être contrôlée par l’Afrique du Sud jusqu’à l’indépendance en 1990.

Swakopmund

L’histoire et le drame de la colonisation allemande est le sujet du livre « Blue Book » par Elise Fontenaille-N’Diaye. C’est un récit simple et limpide qui expose une réalité historique complètement oubliée : la violente répression des troupes impériales allemandes contre les Hereros et les Namas entre 1904 et 1908 qui fit plusieurs dizaines de milliers de morts – une large fraction de ces populations dans un pays très peu peuplé – et que l’on est en droit de désigner comme le premier génocide du XXème siècle. L’Allemagne attendra 2004 pour officiellement présenter ses excuses au peuple namibien.

Le roman « Au-delà du silence (The Other Side of Silence) » de l’écrivain sud-africain André Brink se situe à la même époque de la colonie allemande. L’héroïne, Hanna X, est une jeune allemande qui quitte Brême, l’orphelinat où elle a grandi et ses années de service comme domestique pour s’embarquer sur un navire à destination de la nouvelle colonie. Elle rêve d’autres horizons. Mais en Namibie, l’administration allemande cherche surtout des femmes pour satisfaire les besoins charnels des colons et des soldats. Hanna en fera l’amère expérience dans le train entre Swakopmund et Windhoek, la capitale. Elle fuit les avances des soldats ivres, mais ne peut échapper à un officier qui la viole. Elle sera punie pour avoir résisté : mutilée, sa langue arrachée, elle se retrouve muette à Frauenstein une forteresse au milieu du désert qui garde les femmes qui ont été rejetées. Elle s’enfuit, est recueillie dans le désert et soignée par des femmes locales. Elle constitue peu à peu un groupe disparate de femmes et d’hommes, blancs et Africains qui remontent vers Windhoek où elle prévoit d’assouvir sa vengeance.  Un roman dur, vif, mais puissant et qui fait très bien ressentir l’âpreté du désert.

Dans son roman policier « L’heure du chacal », l’écrivain allemand Bernhard Jaumann met en scène une jeune inspectrice de la police namibienne, formée en partie en Finlande, Clemencia Garises qui vit avec sa famille haut-en-couleur dans le township de Katutura à l’extérieur de Windhoek. Un instant on se croirait dans une version namibienne des « Enquêtes de Mma Ramotswe » qui ont pour cadre le Botswana voisin. Mais on quitte vite le registre de l’humour et de la bonne humeur : Clemencia fait rapidement le lien entre les morts violentes, à Windhoek et en Afrique du Sud, d’anciens membres du Civil Cooperation Bureau (CCB), une organisation secrète proche de l’armée sud-africaine qui de 1986 à 1990 s’occupa de liquider des activistes anti-apartheid. Les quatre victimes ont tous été impliquées dans le meurtre d’Anton Lubowski, un célèbre activiste blanc qui avait pris fait et cause pour l’indépendance de la Namibie. Ils avaient été accusés mais faute de preuves n’ont jamais été condamnés. Donkerkop, le dernier des assassins du CCB encore en vie est-il le meurtrier de ses anciens conjurés ou bien la prochaine victime ? Pourquoi le procès des assassins de Lubowski s’est-il enlisé il y a vingt ans ? La SWAPO, le parti qui mena la lutte pour l’indépendance namibienne et qui est au pouvoir depuis, a-t-elle intérêt à ce qu’on ne remue pas cette affaire ? Jaumann glisse sous la couverture d’un roman policier haletant, mais parfois un peu décousu, son interprétation d’un des événements majeurs mais toujours inexpliqué de l’histoire namibienne.

Avec “The Purple Violet of Oshaantu” de l’écrivaine namibienne Neshani Andreas, qui n’est pas disponible en Français, nous revenons, au moins au premier abord, vers des eaux plus calmes. Dans un village traditionnel, loin de la ville, Mee Ali et Kauna sont deux voisines et amies. Le village vit au rythme des cérémonies religieuses, des ragots et du qu’en dira-t-on. Le mari de Kauna passe ses nuits chez sa maitresse au vu et au su de tous, et personne ne veut voir qu’il bat sa femme. Michael, le mari de Mee Ali, lui est attentionné et honnête, mais, travaillant à Walvis Bay, il est souvent absent. Un jour le mari de Kauna, revenant de chez sa maîtresse chez lui, s’écroule et meurt sur le coup. Mee Ali aide son amie à organiser les funérailles. Toute la famille du défunt arrive au village et s’étonne de ce que la veuve ne pleure pas. Lorsque se discute l’héritage, certains insinueront même qu’elle pourrait avoir empoisonné son mari. Mee Ali se révolte contre cette société patriarcale où les hommes en font à leur guise tandis que leurs femmes et les veuves écopent.

Enfin, dans « Solitaire. A House in the Namib Desert”, Ton van der Lee, un producteur de cinéma d’Amsterdam raconte comment il a tout plaqué pour aller ouvrir un restaurant à côté de la pompe à essence de Solitaire, un carrefour au milieu du désert où passent quelques voitures par jour. J’ai acheté son livre dans le magasin de Solitaire et son histoire m’a intéressé et amusé, même si elle cadre un peu trop à mon goût avec cette idée assez facile d’une Afrique éternelle, « hors de l’histoire », où l’homme occidental peut venir se ressourcer et replonger ses racines…

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