Idées Bouquins, etc… : Syrie

Je commence aujourd’hui une rapide description de quelques romans qui se passent Syrie, un pays au centre de l’actualité pour de multiples raisons, souvent dramatiques. C’est Xavier qui m’a suggéré cette recherche. En 1993, lors d’un voyage de plusieurs mois en Asie, nous avions passé quelques semaines en Syrie. Le pays était en paix, même si des tensions étaient perceptibles : bus contrôlés par des agents des services de sécurité mitraillettes en bandoulière, traces de la répression par les forces du régime de l’insurrection dans la ville de Hama (1982).

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Hama

Nous avions visité Palmyre, depuis détruite par ISIS. Nous avions parcouru les bazars de Damas et Alep, parmi les plus anciennes villes du monde. J’ai lu récemment quatre livres écrits par des écrivains syriens (malheureusement, un seul est traduit en français). Tous traitent de la période qui précède la guerre civile actuelle, mais, en plus d’être des très bons romans, ils offrent un excellent aperçu des multiples fractures de la société syrienne, de la difficulté pour un homme et une femme de s’aimer dans une société conservatrice et clanique et de la vie de tous les jours sous la chape de plomb du régime du clan Assad.

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Damas, Mosquée des Ommeyades

Un livre que j’ai lu avec énormément de plaisir, c’est “The Dark Side of Love” de Rafik Schami, un écrivain syrien qui vit en Allemagne. Un livre de 850 pages, mais une de ces briques dont les pages se tournent allègrement. Farid et Rana, issus de deux clans qui se haïssent depuis des générations dans un village de montagne près du Liban, se rencontrent en secret et s’aiment à Damas. La ville est le troisième personnage central du roman. Schami a composé son livre comme une mosaïque où les couleurs de l’histoire syrienne, des luttes et des répressions politiques, des factions religieuses, des drames familiaux et de la vie dans les rues des quartiers damascènes se mêlent et se répondent pour servir d’écrin à une des plus belles histoires d’amour que j’ai lues. J’espère qu’un éditeur français prépare une traduction de ce livre dont l’original est en allemand (Die dunkle Seite der Liebe).

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Je viens aussi de terminer le court récit “Just Like a River” (non traduit en francais) de Muhammad Kamil al-Khatib. Publié en arabe en 1984, le roman n’a rien perdu de son actualité. C’est encore une fois l’histoire d’un amour difficile, un thème récurrent dans la littérature syrienne. Mais ici, ce sont les hésitations des deux amoureux et leurs non-dits, leurs fiertés mal placées et leur crainte de s’engager dans un amour « moderne » dans un pays de traditions qui font obstacle à leur bonheur. C’est écrit très finement, comme coule une rivière.

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Un livre écrit par un auteur syrien qui a été traduit en français est « Silence et Tumulte » de Nihad Sirees. Dans les rues d’une ville qui n’est pas nommée mais qu’on devine être Damas, on célèbre les 20 ans au pouvoir du chef suprême. Une succession sans fin de défilés tonitruants. Fathi, un écrivain célèbre cherche à échapper au tumulte en retrouvant son amie Lama pour tout oublier dans ses bras. Dès qu’il sort dans la rue, il est happé par la foule et termine au poste de police et à l’hôpital. Le régime le poursuit même au sein de sa famille : un des conseillers du dictateur veut épouser sa mère et lui propose de devenir le thuriféraire du pouvoir en place. Il ne lui reste plus que le silence pour se soustraire aux tentacules du gouvernement. Une allégorie kafkaïenne de la vie en Syrie, écrite en 2004.

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Le roman “Sarmada” de Fadi Azzam, qui n’est pas disponible en français, retrace les aventures surprenantes qui ont émaillé la vie de plusieurs générations de femmes dans le village druze de Sarmada, au cours des 50 dernières années. Ce livre dans la veine du réalisme magique reprend les thèmes des amours interdits et des meurtres perpétrés pour sauvegarder l’honneur des clans. Il semble décidément très difficile de s’aimer librement en Syrie. C’est aussi une fenêtre ouverte sur la culture druze, une branche hétérodoxe de l’Islam mal connue.

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Pour un très bon article sur la crise des réfugiés syriens, je conseille l’article (en anglais) « Ten Borders » par Nicholas Schmidle dans « The New Yorker » du 26 octobre 2015. Un long article très bien documenté qui retrace l’épopée de Ghaith un étudiant en droit syrien qui pour éviter la guerre civile et le risque de devoir servir dans l’armée du régime Assad veut retrouver son frère qui est déjà arrivé en Suède. Il laisse derrière lui sa femme – il espère qu’elle pourra le rejoindre une fois établi en Suède – et après de longues attentes et de nombreuses tentatives via le Liban et la Turquie, il franchi dix frontières et parvient à Göteborg. Un article qui permet de réfléchir et de comprendre la dimension humaine de la crise des réfugiés.

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Je termine souvent mes tours d’horizons par quelques films. Mais, sauf erreur de ma part, des années de censure en Syrie n’ont laissé passer que des films de propagande ou de piètre qualité. Le documentaire « A Syrian Love Story » du Britannique Sean Mcallister suit un couple d’opposants au régime et leurs enfants pendant cinq ans, de la prison en Syrie à l’exil en Europe et à leur rupture. Le film a l’air très bien, mais il n’est pas encore sorti aux Etats-Unis, même en « video on demand ». Si vous l’avez-vu, je serai curieux d’avoir votre avis. Voici la bande-annonce.

 

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