Malacca et la Malaisie : « The Ghost Bride » et « The Night Tiger » par Yangsze Choo

Dès les premières pages du roman de Yangsze Choo, « The Ghost Bride (L’Epouse Fantôme) », qui n’est pas disponible en français, j’ai retrouvé l’atmosphère que j’avais ressentie en parcourant, il y a plusieurs années déjà, le centre de Malacca en Malaisie. La vieille ville a gardé avec harmonie les traces des influences hollandaises, portugaises, anglaises, chinoises et malaises qui s’y sont succédées et mélangées. En particulier, je me suis souvenu de ma visite au Musée Baba-Nyonya. C’est une maison occupée depuis sept générations par une famille chinoise rendue prospère par le commerce de Malacca, ville portuaire au cœur du détroit qui porte son nom. Je me rappelle du salon de réception (Thia Besar), où la famille mettait en valeur ses liens avec la Chine et où seuls les hommes étaient admis, tandis que les femmes devaient se contenter de coups d’œil furtifs ou de bribes de conversation glanées depuis le salon voisin. La maison abrite aussi un salon des ancêtres où la piété filiale se pratiquait en déposant prières, offrandes et nourritures aux parents disparus.

La jeune Li Lan vit avec son père dans une belle demeure à la fin du 19ème siècle.  La maison est d’apparence respectable mais, en fait, au bord de la ruine. Un jour, son père revient avec une proposition étonnante : la riche famille Lim offre à Li Lan d’épouser leur fils. Pourtant ce dernier vient de mourir. Cette pratique de « marier un fantôme », rare mais pas inconnue, était censée apaiser les esprits tourmentant la maisonnée. Alors qu’elle rend visite à sa future belle-famille, Li Lan rencontre, au détour d’un corridor qu’elle n’aurait pas dû emprunter, Tian Bai, le cousin bien vivant de son fiancé décédé. Elle tombe amoureuse.

Le premier roman de Yangsze Choo s’embarque alors, avec un séduisant mélange d’ingénuité et de virtuosité, dans deux mondes parallèles : d’une part, celui de ces familles chinoises de Malaisie, commerçantes, sachant, quand nécessaire, se couler dans les codes du colonialisme britannique, mais préservant les traditions ancestrales et d’autre part, celui du royaume des Morts, auquel Li Lan accède par effraction la nuit et dont elle découvre les intrigues accumulées au fil des générations. Son esprit curieux la mène et puis la mêle aux secrets anciens et récents de la famille Lim. A tel point qu’elle risque de ne jamais pouvoir revenir parmi les vivants.

Yangsze Choo est une écrivaine malaisienne dont la famille est arrivée de Chine il y a quatre générations et qui publie en anglais. « The Ghost Bride » est en voie de devenir la première production originale de Netflix en chinois.

Dans son second roman, « The Night Tiger (Le Tigre de Nuit) », pas non plus traduit en français, elle quitte Malacca pour les petites villes et les collines de Malaisie des années 30, encore sous la domination britannique.

Même si la dose est plus légère que dans son premier livre, elle marie encore avec bonheur fiction historique et magie. Ji Lin est une jeune couturière qui le soir, pour payer les dettes de mahjong de sa mère, s’habille avant de rejoindre, en cachette, un « dancing hall ». On accroche un numéro sur sa robe et elle attend que les hommes qui se sont acquittés d’un ticket viennent l’inviter pour quelques tours de piste et un peu de conversation. Un soir un de ses clients lui glisse subrepticement un tube de verre contenant les restes d’un doigt. On retrouvera son corps quelques jours plus tard dans le caniveau.

Ren est un jeune garçon de onze ans qui vient d’être transféré pour servir comme « boy » chez un médecin anglais affecté dans un hôpital au milieu des plantations de thé. Son ancien patron était un autre docteur britannique auquel il était très attaché. Sur son lit de mort, Ren lui a promis de retrouver un doigt dont il a été amputé il y a plusieurs années. Le garçon dispose de 49 jours pour « compléter » le corps de son maître et permettre ainsi à son âme de de monter entière vers l’au-delà.

Ji Lin et Ren partent chacun à la recherche de ce qui leur manque : elle, le corps auquel appartient le doigt qui lui a été confié, lui, le doigt qu’il doit déposer dans la tombe du Dr. MacFarland. Si le lecteur ne sera pas surpris quand les chemins des deux protagonistes se rejoignent, le reste du récit est riche en rebondissements ponctués par des attaques mortelles de tigres au milieu de la nuit.

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