Maroc : Entre tradition et modernité

Il y a plusieurs façons de combiner voyages et lectures. Une que je pratique souvent, c’est d’emmener avec moi un roman qui décrit sa destination. Une autre, moins préméditée, c’est de se trouver sur les lieux d’un livre qu’on a déjà lu, parfois plusieurs années avant, et de soudain être replongé dans l’ambiance du roman. Une telle expérience m’est arrivée à Fès, au Maroc. Je me promenais dans la médina, me frayant tant bien que mal un chemin, contournant les charrettes tirées par des ânes, les marchands vantant leurs échoppes et les porte-faix. En un instant, je me retrouvais dans les pages de « Léon l’Africain » d’Amin Maalouf. Cette impression était d’autant plus frappante que le roman se déroule au 16ème siècle.  

Quand Aude s’est installée il y a quelques années à Casablanca et qu’elle m’avait demandé quelques suggestions sur le Maroc, j’avais tout de suite pensé à « Léon l’Africain », même si ce merveilleux roman retraçant la vie et les voyages de ce berbère andalou de la Renaissance est l’œuvre d’un écrivain libanais et se déroule, non seulement à Fès, mais aussi à Grenade, Le Caire et Rome. C’est une des lectures qui m’a incité à essayer de mieux comprendre les relations et les confrontations entre l’Islam et le monde chrétien.

Ma seconde suggestion était « Désert » de J.M.G. Le Clézio. Le livre, qui fut cité par le Comité Nobel lors de l’attribution du Prix de Littérature à l’écrivain français, est construit autour de deux histoires entremêlées. Le premier récit est celui de tribus nomades du Nord de l’Afrique, poursuivies et défaites par les troupes coloniales françaises au début du XXème siècle entre le Sahara occidental et le sud marocain. Le parcours de Lalla, une descendante des tribus nomades vaincues, grandissant dans un bidonville aux portes de Tanger avant d’émigrer à Marseille constitue le second pilier de ce livre à l’image de son titre : âpre, difficile, mais splendide pour qui fait l’effort d’y pénétrer.

Depuis, j’ai lu deux romans écrits par des écrivains marocains. « L’enfant de sable » est un des premiers ouvrages qui a contribué à la renommée de Tahar Ben Jelloun. C’est l’histoire de la huitième fille née dans une famille traditionnelle, que son père décide d’élever comme un garçon pour éviter le déshonneur et garder l’héritage dans sa lignée. Cette décision paternelle conduira l’enfant du rôle de préféré à un destin fait d’impasses et de désillusions. Critique de la séparation stricte des genres dans un Maroc figé dans le conservatisme des apparences, c’est aussi le portrait d’un pays sortant de l’emprise coloniale et se questionnant sur son entrée dans le monde moderne.

Cet été, j’ai lu « Le Pays des Autres » de Leïla Slimani, dont j’avais déjà apprécié l’admirable « Chanson Douce ». Son nouveau roman raconte l’histoire de Mathilde, une jeune alsacienne, qui tombe amoureuse d’Amine, un officier marocain servant dans l’armée française à la fin de la seconde guerre mondiale. Ils décident de s’installer au Maroc et de reprendre une exploitation agricole dans les environs de Meknès. Elle se voyait à la tête d’une imposante plantation de type coloniale, mais ils mènent une vie dure et elle doit proposer de servir d’infirmière pour gagner la confiance des villageois. Il pensait rentrer en héros et que sa femme française lui ferait gagner du galon social, mais les colons regardent de travers cet « indigène » qui a piqué une des leurs. Mathilde et Amine se sentent chacun étranger dans un Maroc où la lutte pour l’indépendance prend de l’assurance et où il devient périlleux de ne pas choisir un camp. Ce superbe roman est annoncé comme le premier volet d’une trilogie inspirée de l’histoire familiale de Leïla Slimani. Je me réjouis de découvrir les prochains volumes.


Meknès

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