Sierra Leone : “The Memory of Love” par Aminatta Forna et “Le Chemin Parcouru (A Long Way Gone)” par Ishmael Beah

Quand j’annonce à mes connaissances que je m’apprête à partir au Sierra Leone, on me demande invariablement si ce n’est pas dangereux. Le nom du pays est associé à la guerre civile et plus récemment à l’épidémie d’Ebola. Beaucoup revoient des scènes du film « Blood Diamond » où Leonardo Di Caprio échappe à ses poursuivants dans les rues de la capitale Freetown (le film a en fait été tourné en Afrique du Sud et au Mozambique). Et pourtant, lors de me deux récents voyages, j’ai surtout profité de superbes promenades sur la plage, au soleil couchant, à observer les va-et-vient des pêcheurs.  

Si la paix et le calme sont bien et heureusement revenus dans le pays, les années de guerre civile n’en marquent pas moins les livres des écrivains sierraléonais. J’ai d’abord lu « A Long Way Gone. Memoirs of a Boy Soldier” d’Ishmael Beah. Ce récit, traduit en français sous le titre “Le Chemin Parcouru. Mémoires d’un Enfant Soldat », était inscrit au programme de lecture de mes enfants dans leur école américaine. Il m’avait toujours intrigué et je l’ai emporté avec moi lors de mon premier voyage au Sierra Leone. L’auteur raconte son itinéraire d’enfant-soldat : sa vie simple avant le conflit, les rumeurs de guerre qui se rapprochent, le jour où son village est attaqué par les forces rebelles et sa famille dispersée, son errance avec des amis de jeux avant d’être enrôlé de force dans l’armée officielle. Le lieutenant qui les a recrutés leur explique qu’ils n’ont pas d’autre choix pour contribuer à l’effort de guerre et les exhorte à « venger leurs familles ». Ishmael devient un guerrier, on lui ordonne d’exécuter des prisonniers, et on lui refile de la came pour lui donner du cœur à l’ouvrage. Jusqu’à ce qu’un beau jour l’UNICEF débarque dans son camp pour rassembler les enfants-soldats et les emmener à Freetown dans un centre de rééducation. Celle-ci est longue, avec ses hauts et ses bas, mais finalement Ishmael est choisi pour témoigner de son expérience à New York.

Malgré une controverse un peu opaque sur la véracité de certains faits, c’est un livre fort bien écrit qui montre comment un enfant peut rapidement être entrainé dans la guerre et ses horreurs, que la ligne entre guerrier et victime est difficile à tracer et combien sortir de la spirale de la violence est un long chemin, pentu et ardu.

Le superbe roman d’Aminatta Forna « The Memory of Love”, qui n’a pas de traduction française, aborde la guerre de manière beaucoup moins directe, mais pas moins prenante. L’auteure mêle des histoires d’amour entrelacées sur plusieurs générations et ce faisant met en scène la très belle ville de Freetown qui s’accroche sur plusieurs collines plongeant dans l’océan.

Elias Cole est un vieil homme terminant sa vie dans une chambre d’hôpital. Ancien professeur d’université, il se souvient avec nostalgie des années qui ont suivi l’indépendance. L’avenir était plein de promesses. Son collègue Julius préparait une fête pour célébrer les premiers pas de l’homme sur la lune, pendant qu’Elias était attiré comme un aimant par le charme de Saffia, la femme de Julius. Au lendemain de la fête, Julius et Elias sont arrêtés par la police politique. Elias est relâché tandis que Julius meurt en prison.

Adrian Lockheart est un psychologue anglais qui a quitté un mariage brinquebalant au Royaume-Uni pour « se rendre utile » au Sierra Leone juste après la fin de la guerre civile. Son patient principal est Elias Cole dont il recueille les confidences. A l’hôpital, Adrian partage une chambre de garde avec un chirurgien orthopédique sierraléonais, Kai Mansaray. Celui se dévoue corps et âme, jour et nuit, dans un pays où les membres écrasés, déchiquetés ou amputés ne manquent pas. Mais, son dévouement est tel qu’il semble lui servir d’échappatoire pour oublier son amour passé pour Nenebah.

Elias, Adrian et Kai, aucun des trois ne peut éviter cette mémoire de l’amour dont, un peu comme un membre amputé, la présence demeure lancinante, malgré la guerre, malgré la distance ou les trahisons. Les trois récits se tissent, apparemment en parallèle, jusqu’à ce qu’Adrian tombe amoureux de Mamakay, une jeune femme rencontrée dans un bar.

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