Kirghizistan : “Djamilia” par Tchinguiz Aïtmatov et « Continuer » par Laurent Mauvignier

Un voyage de noces au Kirghizistan ? La plupart de nos amis écarquillaient les yeux quand nous faisions cette annonce. Mais ma femme et moi aimons les longues marches dans les montagnes, et donc après avoir découverts les villes de la Route de la Soie dans l’Ouzbékistan voisin, nous voilà au pied des montagnes kirghizes à Karakol, au bord du lac Issyk-Köl.

Nous montons dans un immeuble à l’architecture toute soviétique pour trouver les bureaux de l’agence de trekking avec qui nous avions réservé et faire connaissance avec notre guide. Notre guide se révèle en fait être une équipe au grand complet : un porteur, un cuisinier, une interprète kirghize pour communiquer avec les nomades et un as de l’alpinisme soviétique comme guide principal. Un peu beaucoup pour accompagner deux jeunes tourtereaux, mais rien à faire, c’est compris dans le prix. Le lendemain le guide et le cuisinier s’offrent pour faire les courses au marché local, arguant qu’ils obtiendront de meilleurs prix que des touristes occidentaux.

En fait de courses, notre guide avait surtout acheté huit bouteilles de vodka et une quantité industrielle de peanuts pour « échanger avec les nomades ».  Le premier midi, le guide et le porteur trouvent un coin frais au bord d’une rivière et commencent à écluser la vodka. Nous les quittons pour continuer avec le cuistot et l’interprète emportant de quoi installer le camp. Notre guide débarquera au campement passé onze heures du soir, complètement ivre, incapable de monter sa tente dans le noir.

Le lendemain ma femme me charge de discuter avec le guide. J’essaie de lui faire comprendre que son boulot est d’être devant nous et pas titubant trois heures en arrière. Il prend la mouche, me dit : « Vous voulez du sport ? Vous en aurez ! », il endosse son sac à dos et se met en route d’un pas très soutenu, nous enjoignant de le suivre « si vous le pouvez ». Nous avons eu en effet du mal à le suivre, mais trois lacets plus haut il était assis haletant au bord de la route et nous cria « Time out ! ». Cette scène me remit en mémoire l’une des planches mythiques de « Tintin au Tibet » que je reproduis ici.

Une fois la vodka épuisée, notre trekking devint plus classique et notre guide plus intéressant. Il nous aida à découvrir les superbes paysages de montagnes du Kirghizistan. Je me souviens par exemple d’un col nous offrant un somptueux panorama vers les pics qui marquent la frontière avec la Chine. Les peanuts achetés au départ et notre interprète se sont aussi avérées très utiles quand il s’agit de compléter nos maigres rations avec du kumis, le lait de jument fermenté préparé par les nomades kirghizes.

J’ai pensé à ces jours de marche dans les montagnes kirghizes en lisant le très beau roman « Continuer » de Laurent Mauvignier. Les deux héros, Sybille et son fils, Samuel, parcourent les steppes et vallées à cheval et non à pied. Mais ils s’arrêtent aussi dans les villages et les campements nomades pour de surprenantes rencontres, sont invités à boire du kumis et le soir à trinquer à la vodka.

Au-delà des randonnées dans des paysages à couper le souffle que rend très bien l’adaptation au cinéma réalisée par Joachim Lafosse, le roman est avant tout l’histoire d’une mère et de son fils qui se sont perdus au fil d’un divorce et d’une adolescence turbulente. Sybille emmène Samuel dans ce voyage au Kirghizistan en espérant que mère et fils se reparlent et se retrouvent.

Le village kirghize est aussi au cœur de la nouvelle « Djamilia », l’œuvre qui a fait connaître au-delà des frontières de l’URSS, l’écrivain Tchinguiz Aïtmatov. Bien des années après les faits, Seit se souvient de sa nouvelle belle-sœur, Djamilia qui avait épousé son frère aîné Sadyk. Arrive la seconde guerre mondiale et Sadyk doit partir pour le front, à l’ouest, loin de ses montagnes. Dans la ferme collective, le travail doit être accompli par ceux qui n’ont pas été appelés : les femmes, comme Djamilia, ceux qui sont encore trop jeunes comme Seit, ou alors les estropiés comme Daniyar, étranger au village, débarqué on ne sait trop d’où et dont on se gausse.

Un soir Seit, Djamilia et Daniyar reviennent dans la même charrette. Djamilia se met à chantonner, Daniyar d’habitude si silencieux reprend son chant. Djamilia est envoûtée et tombe sous le charme. Lorsqu’on annonce que Sadyk, blessé sur le front, va quitter l’hôpital pour revenir au village, Daniyar et Djamilia s’enfuient dans la steppe. Une histoire toute simple, mais que Louis Aragon qui la traduisit en français, qualifia de « plus belle histoire d’amour du monde ». Difficile de trouver mieux pour accompagner un voyage de noces !

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