Kenya : “La maison au bout des voyages (Dust) » par Yvonne Adhiambo Owuor et « La constance du jardinier (The Constant Gardener) » par John Le Carré.

J’ai été plusieurs fois au Kenya, mais je ne peux pas dire que je connais bien le pays. J’étais souvent de passage à Nairobi ou dans ses environs, mais pour quelques jours. Je me souviens du meilleur ananas que j’ai dégusté, tout juteux, coupé à la machette dans un champ près de Thika. Je garde aussi en mémoire la route en bus de Nairobi à Arusha en Tanzanie, pendant laquelle nous avons eu tout le temps de voir se profiler le Mont Kilimandjaro que nous allions gravir quelques jours plus tard. Des années après, lors d’un vol matinal de Nairobi à Maputo, je restai pendant de longues minutes le visage contre le hublot à contempler le sommet de l’Afrique dans la lumière des premières heures du jour.

Je viens de lire deux romans qui se déroulent tous les deux en partie à Nairobi, et pour l’autre part dans le nord du Kenya, aux alentours du Lac Turkana. L’un, le premier roman d’une auteure kenyane m’a ouvert les yeux sur l’histoire tumultueuse du pays, l’autre m’a permis de mieux découvrir l’œuvre d’un géant de la littérature britannique, quelques mois après sa disparition.

La maison au bout des voyages (Dust) » par Yvonne Adhiambo Owuor est passionnant, même s’il faut quelques pages pour bien rentrer dans cette histoire multiforme et dans cette langue aux phrases courtes et ciselées, qui fait penser aux paysages arides du Nord. Le roman commence en 2007 lors des violences qui secouent le Kenya après des élections contestées. Odidi Oganda est en fuite dans les rues de Nairobi, poursuivi par la police. Il est abattu. Son père Nyipir et sa sœur Ajany, arrivent, l’un de sa maison loin dans le Nord, l’autre du Brésil, pour reconnaître le corps du défunt à la morgue et l’emmener pour l’enterrer près de « la maison au bout des voyages » où les attend la mère, Akai-Ma, déchirée par la douleur.

Cette maison, construite à la période coloniale par Hugh Bolton, un officier de renseignements britannique et par Nyipir, son ordonnance kenyan, est le nœud gordien qui relie tous les personnages du roman. Alors que la famille Oganda n’a pas fini d’enterrer son fils, apparaît, venu d’Angleterre dans ces contrées inhospitalières, Isaiah Bolton, dont la mère vient de mourir. Il veut en savoir plus sur son père, Hugh, disparu sans laisser de traces avant même sa naissance. Le récit rebondit de la période coloniale avec la répression des rebelles Mau-Mau par les autorités britanniques, à l’époque contemporaine et la lutte contre la corruption du régime dont Odidi était un des pourfendeurs en passant par l’assassinat de Tom Mboya en 1969, signalant la fin des illusions pour la jeune république kenyane. Violence, désir, remords et secrets se mêlent dans cette tragédie racontée avec puissance par Yvonne Adhiambo Owuor, au bout d’un voyage surprenant, dans un pays que je n’avais fait qu’effleurer.

« La constance du jardinier (The Constant Gardener ») » de John Le Carré, maître du roman d’espionnage anglais, s’ouvre aussi sur un meurtre : Tessa Quayle a été retrouvée assassinée dans un 4×4 au bord du lac Turkana, et son mari, Justin, doit venir identifier le corps à la morgue de Nairobi. Justin Quayle est un conseiller d’ambassade britannique, irréprochable dans ses bonnes manières, mais sans trop d’ambition. En dehors des heures de bureau et des réceptions diplomatiques, c’est aux fleurs du jardin de sa résidence qu’il donne toute son attention, tandis que Tessa, la jeune femme qu’il vient d’épouser sur le tard, elle, se passionne pour les injustices vécues par les habitants du bidonville de Kibera. Ses activités outrepassent la bienséance qui convient aux épouses de diplomates quand elle s’intéresse de trop près aux médicaments contre la tuberculose, distribués dans certains villages et quartiers par un consortium pharmaceutique.

Que faisait Tessa au bord du lac Turkana ? Le Dr Arnold Bluhm, un médecin africain qui l’accompagnait et qui a disparu, était-il son amant ? Ou bien l’a-t-il tuée ?

Certains critiques ont reproché à John Le Carré de quitter les personnages à la morale ambiguë qui avaient fait le succès de ses romans d’espionnage pendant la guerre froide et de se reposer sur un scénario dans lequel la dichotomie du bien et du mal est plus évidente. Pourtant, ce que j’ai aimé dans ce roman, c’est la transformation de Justin. Le diplomate effacé, décide, par amour pour Tessa, de mener une enquête parallèle pour comprendre pourquoi elle a été tuée et dénoncer le scandale qu’elle avait mis à jour et que le Foreign Service cherche à étouffer. Cette transformation du personnage de Justin est aussi très bien rendue dans le film inspiré du roman réalisé par Fernando Meirelles avec Ralph Fiennes et Rachel Weisz, qui en outre inclut des vues époustouflantes du lac Turkana.

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