Cameroun : Mont Plaisant, La Saison des Prunes et Empreintes de Crabe par Patrice Nganang

Je venais d’atterrir pour la première fois au Cameroun, à l’aéroport de Douala, un vendredi soir. Avant de travailler la semaine suivante à Yaoundé, j’avais organisé de monter pendant le week-end au sommet du Mont Cameroun, un volcan culminant à 4040m, le plus haut point d’Afrique de l’Ouest. En arrivant depuis l’aéroport à Buea, la ville au pied du volcan, je fus surpris de voir des panneaux publicitaires en anglais. Sur le coup, je me suis souvenu que le Cameroun était un pays bilingue : le français et l’anglais sont les deux langues officielles et l’anglais est la langue dominante dans les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest. Sur le chemin vers le sommet du Mont Cameroun, on passe aussi, en quittant Buea, devant l’ancienne résidence du gouverneur allemand. Le pays fut en effet une colonie allemande et Buea sa capitale de 1901 à 1919, avant que la France et l’Angleterre ne se partagent la colonie après la première guerre mondiale. L’histoire du Cameroun, mal connue, n’est donc pas simple.

Je pensais peu à cette histoire compliquée en grimpant aux flancs de la montagne. Une ascension d’un jour et demi, sans difficultés techniques, mais avec des passages très raides sur le cône du volcan, avec le soleil de l’après-midi qui frappe dans le dos. Après une courte nuit dans un refuge sommaire, on atteint le sommet aux petites heures, mesurant ses efforts à cause de l’altitude, mais profitant d’une vue superbe jusqu’au Golfe de Guinée.

J’ai fait plus ample connaissance avec l’histoire du Cameroun grâce à la trilogie de Patrice Nganang que je viens de terminer. Vivant aux Etats-Unis où il enseigne dans une université de l’Etat de New York, ce romancier camerounais francophone a été arrêté et détenu dans son pays natal pendant trois semaines en 2017, pour avoir écrit un article dans Jeune Afrique critiquant la répression par le pouvoir des manifestations de la minorité anglophone.

« Mont Plaisant » est le premier roman de la trilogie. Il se situe au début des années 30, peu après le transfert du bâton colonial des Allemands aux Français. Sara en est le personnage central. On la découvre à la fin de sa vie qui raconte son histoire à une jeune étudiante camerounaise venue des Etats-Unis pour l’interroger. Elle raconte comment en 1931 elle fut enlevée encore enfant, à sa famille pour être offerte en cadeau au Sultan Njoya, confiné par l’administration française dans sa résidence de Mont Plaisant. Mais Bertha, l’esclave en charge de l’éducation des femmes du harem croit reconnaitre en elle, Nebu, le fils qu’elle a perdu, la sort du sérail, et l’habille en garçon. Servant le sultan, Sara peut ainsi parcourir le palais où celui-ci invite de nombreux artistes à rivaliser de créativité et où des intellectuels font revivre une écriture perdue. Mais ce microcosme brillant n’est pas beaucoup plus qu’un miroir aux alouettes culturel, puisqu’à l’extérieur c’est l’administration coloniale française qui impose sa loi.

Le deuxième tome de la série, « La saison des prunes » nous amène pendant la seconde guerre mondiale. En 1940, le Général de Gaulle veut montrer à ses alliés anglais qu’il peut apporter l’Afrique française pour peser dans la balance des forces en présence. Au Cameroun, l’administration coloniale penche plutôt du côté vichyste. Le capitaine Leclerc, qui prendra du galon plus tard, débarque en pirogue à Edea, près de Douala. Il recrute quelques jeunes hommes du village qui deviendront les premiers engagés de la France Libre au Cameroun et les protagonistes du roman. Entourés de ses tirailleurs que, par ignorance on appellera sénégalais en France, Leclerc prendra Yaoundé avant monter au nord vers le Sahara, au Tchad et en Lybie, se battre contre les Italiens et les Allemands et faire tomber les premières victoires dans l’escarcelle de la France gaulliste. Voilà la version officielle de l’histoire. La réalité est beaucoup plus complexe. Pour ces jeunes soldats, dont certains des pères avaient servis sous l’uniforme allemand, une fois passée l’euphorie de rentrer dans Yaoundé accueillis en héros, il s’agit surtout de crapahuter dans un désert dont ils ignorent tout et de tirer sur d’autres soldats africains, engagés dans les rangs italiens. Pas étonnant que parmi cette jeune génération pointent déjà des envies de secouer le joug colonial.

La trilogie se conclut avec « Empreintes de crabe » qui couvre l’époque de l’indépendance et de la guerre civile qui l’a accompagnée. Certains des jeunes idéalistes rencontrés dans « La Saison des Prunes » ont créé l’UPC, l’Union des Peuples du Cameroun, un parti indépendantiste d’inspiration marxiste. Entre 1955 et 1962, une guerre civile oppose les partisans de l’UPC d’abord aux Français et puis au nouveau gouvernement indépendant du Cameroun, encore soutenu par l’armée française. Nithap a commencé sa carrière comme « médecin indigène » dans un hôpital de brousse. Il va épouser la fille du pasteur. Mais la vie paisible qui se profile pour lui est chamboulée quand il se fait enlever par des maquisards de l’UPC. Un de leurs chefs a été blessé par balle et il faut un médecin pour le soigner. Nithap le sauve, est relâché et retourne travailler à l’hôpital, mais il ne peut échapper à la suspicion d’avoir collaboré avec l’autre camp. Il choisi alors de franchir le pas et devient le médecin du maquis de l’UPC, bientôt écrasé par le nouveau pouvoir. Bien des années plus tard, Nithap, vieillissant et veuf, débarque aux Etats-Unis, accueilli par son fils Tanou, qui enseigne la littérature à l’université. Père et fils se retrouvent, se partagent leurs histoires, leurs engagements et leurs erreurs. La boucle est bouclée.

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