Norvège : « Mon Combat » par Karl Ove Knausgård

Quel est le secret de la Norvège ? Sa population dépasse à peine 5 millions. Pourtant le pays et ses habitants semblent briller sur tous les fronts. Lors de notre récent voyage, j’ai admiré, érigées au fond du fjord d’Oslo, les merveilles architecturales de la capitale que sont l’Opéra et le nouveau Musée National, qui venait d’ouvrir. Dans le domaine sportif, on peut ne pas s’étonner que ce petit pays domine depuis des années de la tête et des épaules les Jeux Olympiques d’Hiver. Mais depuis peu, ils brillent aussi en athlétisme et, en football, tout le monde connait leur jeune centre-avant prodige. Le champion du monde d’échec est norvégien.

Oslo, Opéra

Bien sûr la richesse amenée par la manne pétrolière doit y être pour quelque chose. Ces ressources, bien gérées, ont transformé en deux générations ce pays splendide mais un peu perdu entre fjords et montagnes aux confins nord de l’Europe en une société qui compte au niveau économique, politique, sportif et culturel. Mais il doit y avoir quelque chose en plus.

Nusfjord, Iles Lofoten

En littérature aussi, une des révélations de la dernière décade est un écrivain norvégien. Karl Ove Knausgård est devenu un phénomène littéraire, suite à la publication de son roman autobiographique « Min Kamp (Mon Combat) ». Paru en six volumes en norvégien entre 2009 et 2011, il connait un succès stupéfiant puisque plus d’un demi-million d’exemplaires d’un des titres ont été vendus en Norvège, autrement dit, un livre pour neuf habitants adultes. Depuis, la série est disponible en 35 langues. Les critiques les plus exigeants ne reculent pas devant les comparaisons avec Proust, Joyce ou Virginia Woolf.

Cet été, une grève de la compagnie aérienne SAS, nous a forcé, Céline et moi, à traverser en voiture de location en moins de vingt-quatre heures la Norvège du Nord au Sud, des îles Lofoten à l’aéroport d’Oslo, soit 1386km. Cette longue route n’était pas prévue au programme, mais, au bout du compte, elle ne nous a pas déplu, malgré la fatigue. Nous sommes montés sur des ferries pour traverser les fjords ensoleillés, nous avons roulé en grande partie de nuit, mais début juillet au nord du cercle polaire arctique le soleil ne se couchait pas : nous pouvions admirer les paysages arides des parcs nationaux que nous traversions et apercevoir les rennes et les élans au bord de la route. C’est sans doute pendant ce marathon routier que l’envie m’est venue de me lancer dans la lecture de la série « Min Kamp » de Knausgård.

C’est aussi une entreprise de longue haleine. En français, les six volumes font un total de 4736 pages dans la collection Folio. J’ai choisi la version livre-audio en anglais, superbement interprétée par Edoardo Ballerini, soit plus de 133 heures d’écoute qui m’ont accompagnées, avec bonheur, de septembre à février.

Ce qui est radical dans « Min Kamp », c’est que Knausgård raconte toute sa vie, en long et en large, avec des détails qui semblent à première vue insignifiants et banals. Comment il se prépare un café ou un thé, sort pour fumer une cigarette sur le balcon de son appartement et observe les voisins, doit jongler entre trois enfants et une poussette pour les amener à la crèche sans piquer une crise de nerf (et de temps à autre, il en pique une). Quand et comment il rencontre, tombe amoureux, mais aussi se dispute avec Linda, sa seconde femme, suédoise (Un homme amoureux, volume 2). Dans le quatrième volume « Aux confins du monde », il raconte son expérience comme jeune professeur à peine sorti de l’école secondaire, envoyé donner cours dans un village de pêcheurs dans le Grand Nord, à des garçons et des filles à peine plus jeunes que lui.  De manière surprenante, on se laisse entraîner dans ce flux d’une vie qui se raconte comme en direct, sans retouches. Comme l’écrit James Wood dans « The New Yorker » : « même quand ça m’ennuyait, ça m’intéressait. ».

Un des pivots du roman est la relation de l’écrivain avec son père. Une relation difficile avec un père dont il craignait les pas dans l’escalier et qui le terrorisait d’un regard quand il était enfant (Jeune Homme, volume 3), mais qu’il a vu s’abimer jusqu’à la déchéance dans l’alcool quand il était un jeune adulte (La mort d’un père, volume 1). C’est en partie le récit de sa relation avec son père qui a fait scandale en Norvège et a amené son oncle à lui faire un procès.

Le secret de « Min Kamp » est sans doute que le lecteur se reconnaît dans certains des détails et des habitudes de la vie de Karl Ove Knausgård. En ce qui me concerne, l’écrivain norvégien est né deux mois avant moi, donc, même si nous avons grandi dans des pays européens différents, nous avons des expériences, des goûts et des souvenirs communs. Plus profondément, le lecteur reconnaît dans ce récit sans fard le mouvement, les rythmes et, oui – le mot est juste – le combat de sa propre vie, du plus quotidien au plus intérieur.

Ce parcours à travers une vie, et toute sa palette d’expressions et de sentiments m’a fait penser au parc-musée de Vigeland à Oslo. Le parc accueille 212 statues de bronze et granit, œuvres du sculpteur Gustav Vigeland et installées entre 1940 et 1949. J’avais gardé un fabuleux souvenir de ce parc lors de ma première visite à Oslo comme adolescent. J’y suis retourné en juillet dernier. La magie s’est renouvelée. On pourrait passer des heures à observer les scènes, les mouvements et les expressions des visages de ces hommes, femmes et enfants qui jouent, s’émerveillent, s’aiment, se disputent ou souffrent.

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