Charlottesville, Virginie : “My Monticello” par Jocelyn Nicole Johnson

« Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par leur Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. »

C’est ainsi que commence le préambule de la Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis. Ce paragraphe, dans sa version originale en anglais (« We hold these truths to be self-evident, that all men are created equal…”) est un des textes les plus connus aux Etats-Unis, que les élèves apprennent sur les bancs de l’école et que les hommes politiques aiment citer.

Le principal auteur de cette Déclaration d’Indépendance s’appelle Thomas Jefferson. En 1776, il était un avocat de Virginie âgé de 33 ans. Après avoir été ambassadeur de la jeune République à Paris, il deviendra le troisième président des Etats-Unis de 1801 à 1809. A la fin de son second mandat, il se retire dans sa plantation à Monticello, une élégante demeure bâtie sur une colline qui surplombe la ville de Charlottesville. Dans ses années de retraite, il se consacre entre autres à la fondation de l’Université de Virginie et participe aux plans pour la construction de ce « village académique ». Cette merveille d’harmonie classique mêlant briques oranges et frontons blancs est une des œuvres architecturales les plus abouties en Amérique. Couplé avec Monticello, le campus est classé au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO.

Thomas Jefferson
Monticello

Charlottesville est situé à deux heures de route au Sud de là où nous habitons. C’est donc souvent et avec beaucoup de plaisir que nous nous y rendons, d’autant que depuis deux ans notre fille y fait ses études, dans l’Université fondée par Thomas Jefferson.

Celui-ci est reconnu comme un des meilleurs présidents de l’histoire américaine. Son portrait orne les billets (rares) de deux dollars, un très beau monument lui est consacré autour du Tidal Basin à Washington et la maison de Monticello orne les pièces de 5 cents américains.

Et pourtant, l’homme qui écrivait que « Tous les hommes sont créés égaux » possédait plusieurs centaines d’esclaves pour faire vivre sa plantation. Ce sont aussi des esclaves qui bâtirent la superbe université dont il signa les plans.  Et enfin, des tests ADN ont démontré il y a quelques années, qu’il avait eu des enfants avec une de ses esclaves, Sally Hemings qui l’accompagna à Paris après la mort de sa femme, Martha. Sally et ses enfants ne furent émancipés qu’après la mort de l’auteur de la Déclaration d’Indépendance.

Monument dédié aux esclaves ayant construit l’Université de Virginie

Dans sa nouvelle « My Monticello » qui donne son titre au recueil et qui n’est pas encore disponible en français, Jocelyn Nicole Johnson met en scène Da’Naisha Hemings Love, une jeune étudiante noire de l’Université de Virginie. Sa grand-mère, Ma Violet, lui a toujours dit que son « middle name » indiquait bien qu’elle était une des descendantes de l’union de Jefferson avec son esclave.

Mais, l’auteur, qui est enseignante à Charlottesville, ne nous emmène pas revisiter le passé de Jefferson, à tout le moins pas directement. C’est dans un futur proche que l’histoire se déroule, un futur un peu dystopique et qui cependant ressemble beaucoup aux événements de l’été 2017 quand un défilé de nationalistes d’extrême-droite à Charlottesville avait dégénéré et qu’une contre-manifestante avait été tuée dans les violences qui suivirent.

White nationalists participate in a torch-lit march on the grounds of the University of Virginia ahead of the Unite the Right Rally in Charlottesville, Virginia on August 11, 2017. Picture taken August 11, 2017. REUTERS/Stephanie Keith – RC12CB996CB0

A la suite d’une catastrophe naturelle, la région de Charlottesville n’a plus d’électricité et les services publics font défaut. Des groupes armés se déplacent dans des pick-up trucks aux couleurs du suprémacisme blanc. Ils sèment la terreur et font brûler un quartier noir de la ville.

Da’Naisha prend la fuite avec sa grand-mère Ma Violet, et son petit ami blanc, Knox. Ils se retrouvent à Monticello où Da’Naisha avait jadis travaillé comme guide. Petit à petit, ils sont rejoints par d’autres et forment un groupe hétéroclite et multiracial qui organise sa survie autour de la plantation de Thomas Jefferson que les touristes ne visitent plus. Un soir, Da’Naisha et Knox rentrent dans la maison et en redécouvrent les secrets. Ils y installent Ma Violet dont la santé décline.

Une partie du groupe tente une expédition à Charlottesville pour voir comment la situation évolue et ce qu’il reste de leurs maisons. Da’Naisha espère en profiter pour récupérer les médicaments de sa grand-mère qui sont restés là-bas. Knox, toujours très attentionné l’accompagne, ainsi que Devin, un ancien boyfriend noir.  

Mais la sortie tourne court, les route sont bloquées et le groupe doit se replier sur Monticello où Ma Violet se meure. Ce court roman, très bien écrit, se termine alors que le groupe se prépare à affronter un assaut de ceux d’en bas. L’issue du combat est pour le moins incertaine, la résistance sera peut-être futile, mais les idéaux de Monticello et de ses anciens habitants, illustres ou esclaves, blancs et noirs, auront jeté toutes leurs forces dans la bataille.

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