Ethiopie: “The Shadow King” par Maaza Mengiste

Nous avons plusieurs photos d’Ethiopie dans notre salon. Il y a quatre agrandissements de photos que ma femme Céline a prises lors de notre voyage en 1995. Des vues des superbes Monts Simien dans lesquels nous avions marché pendant trois ou quatre jours, traversant les villages avant de monter sur les plateaux où nous trouvions encore quelques huttes de bergers. Il ne fallait que quelques minutes à pied pour arriver sur le bord du plateau et s’émerveiller devant une immense vallée striée de canyons aux reflets bleus, verts et brun.  

Nous avons aussi encadré des photos en noir et blanc qui datent du printemps 1934 lorsqu’un arrière-grand-oncle fit un voyage officiel de Djibouti à Addis-Abeba. Des hommes enturbannés martèlent de larges tambours. Des femmes se protégeant du soleil sous des parasols brodés marchent en procession. Sans doute les deux clichés ont-ils été pris lors d’un festival religieux. Je n’ai pas beaucoup plus de détails.

Mon intérêt pour ces photos s’est renouvelé en lisant le très beau roman « The Shadow King » de l’auteure éthiopienne Maaza Mengiste. Il n’est pas encore disponible en français, mais j’espère que, comme son premier roman « Sous le Regard du Lion (Beneath the Lion’s Gaze) », il sera bientôt traduit. L’histoire se passe en 1935 lors de l’invasion de l’Ethiopie par les armées italiennes de Mussolini. Une grande partie de l’action se déroule dans et autour des Monts Simien et les photographies prises par un soldat italien, Ettore, font partie de la trame du récit. Maaza Mengiste a fait de nombreuses recherches, notamment en Italie, pour retrouver des photos de l’époque et a mis sur pied un projet d’archives photographiques de la guerre entre l’Ethiopie et l’Italie entre 1935 et 1941.

Le roi-fantôme du roman est un paysan qui ressemblait beaucoup à l’Empereur Haile Sélassié : on l’habilla dans un uniforme impérial et on le faisait se profiler à cheval sur les crêtes pour redonner courage aux soldats éthiopiens alors que le véritable Négus vivait en exil à Bath en Angleterre.

Une des gardes du corps du roi-fantôme est Hirut, l’héroïne principale du livre. Elle apparaît d’abord comme une jeune servante, humiliée par Aster, sa patronne, qui est jalouse des attentions que son mari Kidane lui porte. Kidane est un des chefs militaires de l’armée éthiopienne. Lorsque la bataille se déclenche, il veut laisser les deux femmes derrière lui, mais elles insistent pour se mêler aux combats. Un des points forts du roman est de montrer la guerre du point de vue des femmes. En cela, il m’a fait penser au livre « La guerre n’a pas un visage de femme » de l’écrivain biélorusse Svetlana Alexievitch rassemblant les témoignages de femmes engagées dans l’Armée Rouge pendant la seconde guerre mondiale.

Le roman de Maaza Mengiste, très bien écrit et composé, est aussi un admirable effort pour comprendre cette guerre tant du point de vue éthiopien qu’italien. Un effort construit au gré des recherches de l’auteur pour trouver des photos de l’époque sur les marchés aux puces des villes de la péninsule et rencontrer les descendants des soldats italiens. En effet, le récit suit la trajectoire d’Hirut, mais aussi celle d’Ettore, un soldat vénitien, toujours l’appareil photo en bandoulière, débarquant à Asmara dans cette Afrique inconnue, capturant des clichés exotiques, avant que son colonel ne l’oblige à immortaliser l’exécution de prisonniers éthiopiens jetés d’une falaise. C’est dans ce camp de prisonniers qu’il rencontrera et photographiera Hirut, avant de la retrouver dans la gare d’Addis-Abeba, en 1974, alors que le régime d’Haile Selassié s’écroule.

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